Le Parfum du Désir : Comment une rencontre imprévue peut changer le cours d'une vie.
Table des matières
Introduction :
- Présentation de Gabriel, écrivain en crise et de son univers personnel. L'entrée en scène d'un homme à la recherche d'inspiration, et une vie marquée par la stagnation.
Chapitre 1 : Le vide créatif
- Gabriel, un écrivain de quarante ans, traverse une crise créative. Ses succès passés semblent lointains, et il lutte pour retrouver sa muse.
Chapitre 2 : Une rencontre inattendue
- Gabriel rencontre Alina, une femme mystérieuse et envoûtante dans un café. Un échange furtif, mais intense, laisse une empreinte profonde sur lui.
Chapitre 3 : La première obsession
- L'obsession naît. Gabriel se perd dans ses fantasmes et ses projections sur Alina. Il commence à l'idéaliser et à écrire des textes influencés par cette vision d'elle.
Chapitre 4 : La quête de la vérité
- Gabriel part à la recherche de la vérité derrière son désir. Il cherche Alina et tente de résoudre l'énigme qu’elle représente dans sa vie.
Chapitre 5 : Un jeu dangereux
- Leur deuxième rencontre suscite plus de confusion. Gabriel oscille entre une illusion de connexion et une réalité de rejet implicite. La frontière entre désir et réalité se brouille.
Chapitre 6 : L’illusion de la tentation
- La spirale de l’obsession se renforce. Gabriel, de plus en plus détaché de la réalité, se perd dans l'écriture et ses fantasmes. Sa relation avec Émilie s'effrite, amplifiée par son idéalisation d'Alina.
Chapitre 7 : La rencontre fatale
- Une confrontation finale entre Gabriel et Alina. Elle met les choses au clair, lui faisant comprendre que son désir n'est qu'une illusion. Cette rencontre marque le point de rupture.
Chapitre 8 : La catharsis
- Gabriel, bouleversé, entame une introspection profonde. Il se confronte à ses erreurs, à son désir non partagé, et à ses illusions. Une libération nécessaire commence à émerger.
Chapitre 9 : Un nouveau départ
- Après avoir mis de l'ordre dans ses pensées et sa vie, Gabriel trouve une nouvelle source d'inspiration. Il commence à écrire un livre sur son expérience, ses désirs et ses illusions. Une réconciliation avec le désir et la création s’opère.
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Le Parfum du Désir :
Comment une rencontre imprévue peut changer le cours d'une vie.
Gabriel se leva, pour la énième fois, et fit quelques pas dans son appartement désert. Les étagères, couvertes de livres poussiéreux, semblaient le juger, leurs dos usés lui rappelant les pages vides de ses carnets. Il soupira. Ce matin-là, comme tant d’autres, il se sentait à la fois écrasé par l’irréalité de son existence et par la certitude que les mots, ces fidèles compagnons de sa jeunesse, l’avaient abandonné. Un silence lourd s’était installé, non seulement dans son appartement, mais aussi dans son esprit. Il n’écrivait plus, ou du moins, il n’écrivait plus rien qui lui appartienne vraiment. Ses romans passés, encensés par la critique, n’étaient plus que des ombres de ce qu’il avait un jour été : un écrivain créatif, enflammé par le désir de comprendre l’amour et ses labyrinthes.
Il attrapa un livre au hasard, un de ceux qu’il n’avait jamais ouvert, et feuilleta quelques pages. Les mots dansaient devant ses yeux, mais ils lui paraissaient étrangers, comme un langage qu’il avait oublié. Une étourderie le prit, et il se retrouva à regarder l’heure sur son téléphone. Il était presque midi. Ses yeux se levèrent. Ce café, là-bas, au bout de la rue… Il se dirigea vers la porte, les pensées floues, comme si ce simple geste allait apporter un peu de clarté à sa journée.
Le café était un lieu familier, presque une seconde maison. Il y venait chaque jour, avec l’espoir insensé que l’atmosphère des lieux, la lueur tamisée des lampes et le murmure constant des voix, lui insuffleraient un peu de cette magie créative qui lui faisait défaut. Aujourd’hui, pourtant, l’endroit semblait plus morne que jamais. Il s’assit à une table au fond de la pièce, près de la fenêtre, et fixa la rue sans la voir, perdu dans une torpeur sans fin.
Mais alors, la porte s’ouvrit.
Elle entra sans bruit, une silhouette gracieuse, presque irréelle, qui sembla suspendue dans l’air. Son parfum le frappa immédiatement, un mélange subtil d’oriental et de fleur d’oranger, si envoûtant qu’il parut se dilater dans l’atmosphère du café. Un parfum presque interdit, comme une invitation à un monde dont il ne connaissait que les contours. Gabriel se redressa imperceptiblement. Elle ne l’avait pas vu. Elle s’installa, seule, à une table près de la fenêtre, face à lui. Ses yeux, d’un bleu profond, balayèrent la pièce sans s’attarder sur lui, mais déjà, il sentait le fil ténu qui venait de se tisser entre eux.
Un instant. Un instant fugace. Le temps sembla se suspendre. Gabriel détourna les yeux, mais il n’arrivait plus à se concentrer. Il la sentait, présente, comme une ombre qui lui frôlait l’âme. Un frisson parcourut sa peau, et il se demanda pourquoi un simple regard, aussi banal soit-il, pouvait déclencher une telle effervescence en lui. Pourquoi ce parfum, presque invincible, s’était-il insinué dans chaque pore de sa peau ?
Il essaya de se concentrer sur son carnet, mais ses pensées s’échappaient comme des oiseaux effrayés. La scène se rejouait en boucle dans son esprit. Il n’arrivait plus à se défaire de cette étrange sensation, ce trouble profond qui montait en lui, sans raison apparente, mais qui, paradoxalement, le poussait à une forme d’extase silencieuse. Un désir inconnu naissait, insidieux et irrationnel, emportant tout sur son passage.
Elle se leva pour partir. Un sourire effleurant ses lèvres, elle lui lança un regard à peine perceptible, un éclat, une lueur fugitive, comme si elle savait. Comme si, d’une manière ou d’une autre, elle avait perçu ce qu’il était devenu. Et elle s’éteignit aussi soudainement qu’elle était apparue, laissant derrière elle une traînée de parfum et une sensation de vide. Gabriel resta là, figé, observant la porte se refermer lentement sur la scène. Il savait déjà qu’il ne l’oublierait pas. Il savait que son esprit, désormais captif, continuerait de courir après cette image, cette silhouette, ce parfum, jusqu’à ce qu’il se perde dans le labyrinthe de ses fantasmes.
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Gabriel se leva de nouveau, mais cette fois, il n'était plus le même. Il n’était plus seulement l’écrivain en panne d’inspiration, l’amant déçu. Il était devenu un homme emporté par une force qu’il ne comprenait pas encore, une tentation qu’il ne pouvait repousser. Il regarda son carnet une dernière fois, puis, dans un souffle, commença à écrire.
Pas encore sur les pages. Pas encore dans les mots. Mais sur son âme.
Un parfum de désir l’envahissait déjà, et il savait que, désormais, il ne pourrait plus l’oublier.
Chapitre 1 :
Gabriel se tenait devant son bureau, les yeux rivés sur la page blanche de son carnet, mais ses pensées étaient ailleurs, dispersées comme des éclats de verre. La plume, qu’il tenait dans sa main droite, semblait peser une tonne. Il la posa délicatement sur la feuille, comme s’il redoutait qu’un simple mouvement puisse briser le silence lourd qui régnait autour de lui. Depuis des mois, il n’arrivait plus à écrire. Ses doigts, autrefois si assurés, ne retrouvaient plus le rythme des mots, ce flux créatif qui l’avait animé durant ses jeunes années, lorsqu’il avait encore la conviction que ses histoires pouvaient changer quelque chose, qu’elles pouvaient capturer l’essence même de l’amour et du désir.
Aujourd’hui, il n’était qu’un homme fatigué, dont les anciennes gloires littéraires se fanaient comme des fleurs coupées. Ses romans, qui avaient autrefois marqué les esprits, étaient désormais relégués à des étagères poussiéreuses, sous des piles de nouveaux best-sellers, oubliés dans la course à l’innovation et à la nouveauté. Gabriel, lui, se trouvait à la croisée des chemins, incapable d’avancer, d’inventer une nouvelle histoire. Il avait beau chercher l’inspiration dans ses souvenirs, dans les recoins sombres de son esprit, tout semblait vidé de son sens, de son essence. L’écriture lui échappait.
Il prit une gorgée de café froid, un liquide amer qui glissa dans sa gorge sans laisser de trace. Les journées se succédaient, toutes identiques. Chaque matin, il se levait, les yeux à peine ouverts, sans but véritable, sans la moindre étincelle. La feuille blanche devant lui était comme un miroir qui reflétait son âme en panne, un désert où les idées s’étaient éteintes, où même la moindre émotion se dérobait sous sa plume.
Il se leva, alla à la fenêtre, et regarda la rue. Le monde à l’extérieur semblait continuer sa course sans lui, comme si rien n’avait changé. Les passants se pressaient, le bruit des voitures résonnait dans l’air froid du matin, mais pour Gabriel, tout cela semblait dénué de couleur. Il n’y avait pas de passion, pas de désir dans ce monde. Il n’y avait que des ombres qui se croisaient et se dissipaient dans la lumière terne de la ville.
La relation qu’il entretenait avec Émilie, sa compagne depuis maintenant plusieurs années, était tout aussi désolée. Ils avaient été amoureux, un amour intense, fulgurant, mais qui s’était depuis transformé en un lent naufrage. Les silences étaient devenus leur seul langage. Ils se croisaient à peine, leurs regards se fuyaient dans le quotidien, comme deux étrangers coincés dans le même espace. La tendresse, l’étreinte, les baisers avaient disparu depuis longtemps. Même leurs conversations, autrefois pleines de complicité et de promesses, n’étaient plus que des échanges automatiques, des mots vides de sens.
Gabriel n’arrivait plus à se rappeler de la dernière fois où il avait pris sa main, la dernière fois où il avait réellement voulu la toucher, la sentir contre lui. Il se perdait dans ses pensées, et tout autour de lui semblait se désagréger lentement. Le vide créatif qu’il ressentait à l’écrit se retrouvait aussi dans sa vie personnelle. Comme si chaque mot qui échappait à sa plume était une partie de lui qu’il avait perdue, engloutie dans un tourbillon de désillusions.
Il soupira, se laissa retomber dans son fauteuil, et se tourna vers les étagères remplies de livres, témoins silencieux de ses succès passés. Les couvertures usées par le temps, les pages jaunies par les années, semblaient lui faire écho, lui murmurer que tout cela était désormais derrière lui. Ses premiers romans, pleins d’une passion brute, d’une recherche effervescente de vérité sur l’amour et le désir, lui paraissaient aujourd’hui aussi lointains que des souvenirs d’enfance. Il se demanda ce qui avait bien pu se passer. Qu’avait-il perdu en chemin ? Qu’était-il devenu ?
Il ferma les yeux, écouta le silence, ce silence oppressant qui remplissait l’espace, et se dit que peut-être, au fond, ce n’était pas seulement l’écriture qu’il avait perdue. C’était le désir même, celui qui animait ses premiers textes, celui qui avait enflammé ses rêves. Ce désir insatiable de comprendre l'invisible, de déchiffrer l’âme humaine, de raconter l’inavouable. Il se demanda s’il n’avait pas tout simplement cessé d’y croire, d’y croire en lui-même.
Le bruit d’une porte qui se fermait au loin dans l’appartement le ramena à la réalité. C’était Émilie. Il tourna lentement la tête vers la pièce voisine. Depuis combien de temps ne s’étaient-ils pas parlé autrement qu’en murmures furtifs et en récriminations silencieuses ?
Il se leva enfin, la sensation du vide dans l’estomac. Sans trop y penser, il enfila son manteau, prit son carnet et sortit en silence. Peut-être qu’aujourd’hui, en dehors de ce monde étouffant, il trouverait l’inspiration. Ou peut-être que ce serait juste un autre jour, une autre errance dans les rues froides de la ville.
Le monde continuait à tourner, et Gabriel, lui, semblait sur le point de se perdre dans la brume de son propre esprit.
Les jours s’étiraient sans saveur, chacun ressemblant au précédent, comme un écho d’un passé révolu, un fragment de mémoire brisé, impossible à recoller. Gabriel avait l’impression que le temps s’était figé autour de lui, et que seule l’usure des choses continuait son chemin. À chaque retour chez lui, il sentait l’écart grandissant entre lui et Émilie, sa compagne depuis maintenant plusieurs années. Leur relation, autrefois vibrante de passion, se délitait lentement, morceau par morceau, comme un vieux meuble qu’on ne prend plus le temps de réparer.
Émilie était là, mais pas vraiment. Elle était souvent ailleurs, absorbée par ses propres préoccupations, son travail exigeant, ses ambitions de plus en plus dévorantes. Il le sentait dans chaque geste, chaque mot qu’elle prononçait, chaque regard qu’elle lui jetait, distrait et absent. Les discussions qu’ils avaient, autrefois pleines de chaleur et de complicité, s’étaient transformées en échanges mécaniques, sans enthousiasme, presque comme une obligation. La tendresse qu’il espérait entre eux s’éteignait chaque jour un peu plus, remplacée par des silences pesants, des moments où les regards se croisaient sans vraiment se rencontrer.
Gabriel n’avait pas besoin d’être un expert en relations pour comprendre que quelque chose s’était brisé. C’était subtil, comme une fissure invisible qui se propage lentement, mais qui, à force de grandir, finit par tout détruire. Émilie semblait plus préoccupée par ses projets professionnels que par lui, et à chaque instant passé à ses côtés, Gabriel se sentait plus comme un spectateur que comme un acteur de sa propre vie. Elle lui parlait de ses réussites, de ses nouvelles opportunités, de ses réunions interminables, mais quand venait le moment de parler d’eux, de leur histoire, les mots se bloquaient dans sa gorge. Elle était ailleurs.
Il se souvenait encore des premières années de leur relation, lorsque leurs conversations étaient animées, lorsque les rires résonnaient dans chaque recoin de leur appartement. Ils se comprenaient sans avoir besoin de parler, leurs gestes étaient tendres, spontanés. Mais petit à petit, les silences s’étaient installés, et les gestes tendres avaient disparu. Ce qui les unissait jadis semblait aujourd’hui avoir fondu comme neige au soleil, emporté par le poids des non-dits et des responsabilités.
Gabriel se réveillait souvent la nuit, ses pensées tournant autour de la question qui ne cessait de le hanter : que s’était-il passé ? Quand avait-il cessé de la comprendre, quand avait-elle cessé de l’aimer ? Il savait qu’il n’était pas le seul responsable de cet éloignement. Émilie, plongée dans sa carrière de plus en plus exigeante, semblait vivre dans un autre monde, un monde où il n’avait plus sa place. Elle parlait de ses objectifs avec une ferveur presque aveugle, mais lui, il n’était qu’un témoin silencieux de cette ascension solitaire.
Les moments où ils se retrouvaient seuls, sans le bruit des obligations ou des engagements, étaient rares. Et même dans ces instants de calme, une distance invisible les séparait, comme une frontière qu’aucun des deux n’osait franchir. Gabriel avait cessé de lui parler de son travail, de ses peines créatives, de cette page blanche qui le hantait. Il savait que tout cela ne l’intéressait plus, que ses doutes et ses angoisses n’étaient plus qu’un fardeau pour elle. Elle semblait avoir ses propres préoccupations, et il n’avait pas la place dans ses pensées.
Ce soir-là, après un dîner dans lequel les conversations avaient tourné autour des banalités quotidiennes, Gabriel se retrouva dans le salon, seul avec ses pensées, tandis qu’Émilie se rendait dans son bureau pour travailler sur un dossier important. Il se sentit petit, insignifiant, presque invisible. Son regard erra sur les objets familiers de leur appartement – des souvenirs d’une époque révolue. La photo de leur voyage à Florence, accrochée au mur, semblait lui rappeler un temps où ils étaient encore deux, unis dans l’amour et l’aventure. Aujourd’hui, ces souvenirs étaient ternis, comme des photographies oubliées, poussiéreuses.
Il soupira et se leva. Le café était encore chaud, sur la table, mais il n’en avait plus envie. Son esprit tournait en rond, se perdait dans les méandres d’une réalité qu’il n’arrivait plus à appréhender. Il se rendit à la fenêtre, contemplant la nuit noire, seulement éclairée par les lumières tamisées des immeubles voisins. Là, dans l’obscurité, il ressentait une solitude croissante, comme une enveloppe de brume qui s'était déposée sur lui sans qu’il s’en aperçoive.
Il aurait aimé pouvoir revenir en arrière, retrouver cette complicité, cette lumière qui brillait dans les yeux d’Émilie lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Mais il savait que ces moments étaient désormais révolus, irrémédiablement. Ils étaient deux âmes perdues, chacune enfermée dans son propre monde, incapables de se rejoindre.
La porte du bureau s’ouvrit alors, et Émilie, sans un regard pour lui, passa devant Gabriel pour se rendre à la salle de bain. Le bruit de ses pas résonna dans le silence de la pièce. Gabriel baissa les yeux, se sentant comme un spectateur extérieur, un intrus dans sa propre vie. Il se demanda, une fois de plus, où tout cela les avait menés. Et, au fond de lui, une question persistait : quand l’amour se transforme-t-il en habitude ? Quand les âmes qui se sont unies se séparent-elles sans qu’il n’y ait un cri, un signe, une dernière tentative pour sauver ce qui était précieux ?
Le vide qu’il ressentait, non seulement dans sa relation, mais aussi dans sa créativité, l’envahit à nouveau, lourd et oppressant. Mais ce soir-là, au fond de ce silence, il sentit une lueur d’inspiration. Une lueur qui n’avait rien à voir avec les pages blanches qu’il craignait, mais avec un désir qui, peut-être, allait encore naître. Un désir qu’il n’aurait jamais imaginé.
Les journées de Gabriel se succédaient dans un enchevêtrement de gestes routiniers et de pensées dissipées. Chaque matin, il se levait avec l’espoir fou de retrouver un peu de clarté dans le chaos de son esprit. Il enfilait son manteau, attrapait son carnet, et sortait, laissant derrière lui le poids d’une maison silencieuse et vide. Son esprit n’était plus qu’une mer calme, sans vagues, sans direction, et son désir de créer semblait se dissoudre à mesure qu’il arpentait les rues de la ville.
Il se rendait dans les cafés qu’il connaissait bien, des lieux où il avait, par le passé, trouvé une sorte de refuge créatif. Le bourdonnement des conversations, l’arôme riche du café fraîchement moulu, le cliquetis des tasses… tout cela semblait autrefois un terreau fertile pour ses idées. Mais aujourd’hui, tout cela lui paraissait étranger, presque étouffant. Il s’installait à une table, ouvrait son carnet avec l’espoir vain que les mots viendraient tout seuls, mais la page restait désespérément blanche, aussi stérile que son esprit. Les pensées se bousculaient, se mélangeaient et se noyaient dans une mer de confusion.
Il observait les gens autour de lui. Leurs vies semblaient si pleines, si intenses. Des rires sincères, des gestes complices, des conversations qui semblaient avoir un sens. Gabriel se sentait comme un fantôme dans ce monde vivant. Il les regardait, sans oser les approcher, se demandant comment ils faisaient, eux, pour vivre, pour ressentir, pour être. Pourquoi lui n’y parvenait-il plus ?
Il changeait de café chaque jour, espérant qu’un nouveau décor, un nouvel environnement, stimulerait l’étincelle créative qu’il recherchait. Il s’aventurait parfois dans des librairies, se perdait dans les rayons, feuilletant des livres anciens, des volumes oubliés, espérant que l’un d’eux réactiverait ce désir d’écrire. Mais chaque page qu’il tournait semblait plus lointaine, comme une mer qu’il ne savait plus nager. Les idées, ces fidèles compagnonnes de ses premiers romans, avaient disparu, emportées dans un tourbillon de doutes et de pertes.
Un jour, il se retrouva dans un petit parc près de la rivière, un endroit qu’il avait toujours trouvé paisible et propice à la réflexion. Le bruit de l’eau, le chant des oiseaux, les arbres dansants au gré du vent semblaient inviter à la sérénité, mais Gabriel ne ressentait rien. Il s’assit sur un banc, ouvrit son carnet, et fixa la première page. Le soleil, qui perçait à travers les branches, dessinait des ombres mouvantes sur le papier. Il laissa son regard se perdre dans la lumière, comme pour chercher une réponse dans les motifs changeants. Mais rien ne venait.
Il pensa à Émilie, à leur vie qui se délitait doucement, comme des feuilles mortes se détachant d’un arbre. Il pensait aux éclats de leurs premiers moments ensemble, aux promesses qu’ils s’étaient faites. Mais ces souvenirs, aussi chers soient-ils, ne parvenaient plus à nourrir son âme. Elle, occupée par son travail, son ascension dans sa carrière, semblait si loin. Leur amour s'était transformé en une sorte de passivité, un résidu de ce qu’il avait été. Gabriel se demandait si, au fond, il avait cessé d’y croire. Ce vide dans sa relation, dans son cœur, se répercutait sur sa créativité. L’un semblait alimenter l’autre.
Il se leva, abandonnant le parc et son carnet. La ville l’aspirait de nouveau. Les rues étaient pleines de passants, chacun absorbé par sa propre réalité. Gabriel se mêlait à la foule sans vraiment en faire partie, un observateur plus qu’un participant. Il errait, sans but, sans direction. Dans ses pas, il cherchait une lueur d’inspiration, une étincelle de vie qu’il n’arrivait plus à retrouver.
Les cafés ne donnaient rien. Les librairies étaient des dédales d’idées mortes. Les parcs étaient des endroits de solitude tranquille, mais sans aucune réponse. Chaque endroit où il allait semblait lui renvoyer l’image d’un homme en quête d’un but qu’il ne trouvait pas. Il se demanda, pour la première fois, si la réponse à son vide créatif n’était pas ailleurs, non pas dans les lieux où il cherchait à se perdre, mais dans quelque chose qu’il avait oublié de chercher : en lui-même.
Un matin, fatigué de sa quête sans fin, Gabriel se retrouva dans un café qu’il fréquentait rarement. Il s’assit dans un coin sombre, loin des regards curieux, et observa les gens autour de lui, comme à son habitude. Mais ce jour-là, quelque chose était différent. Il aperçut une femme à une table voisine, qui feuilletait un livre, un léger sourire aux lèvres, comme absorbée par une pensée secrète. Elle avait l’air calme, détachée du monde, comme si elle possédait un trésor que les autres ne pouvaient voir.
Gabriel, sans vraiment comprendre pourquoi, sentit son cœur s’emballer légèrement. Quelque chose chez elle, dans sa tranquillité et son allure, lui paraissait étrangement familier, comme une promesse d’un monde qu’il avait oublié. Il se surprit à la fixer un peu plus longtemps que de raison, jusqu’à ce qu’elle lève les yeux et croise son regard. Un échange furtif, presque imperceptible, mais suffisant pour lui faire comprendre qu’il y avait quelque chose de différent dans cet instant. Peut-être était-ce le début de quelque chose. Ou simplement une illusion de plus.
Il retourna son regard sur son carnet, qui était toujours vierge, mais cette fois, il se sentit… moins seul. Un frisson de curiosité passa en lui, comme une brise légère, et pour la première fois depuis des semaines, une idée flotta dans son esprit, fragile mais persistante. Peut-être que l’inspiration n’était pas un feu qu’il devait allumer, mais une porte qu’il devait ouvrir.
Il tourna la page de son carnet et écrivit, pour la première fois depuis longtemps, un mot. Un mot solitaire, mais qui lui donna l’impression d’avoir retrouvé un chemin.
Il l’avait trouvé, sans le chercher.
L’appartement de Gabriel était un sanctuaire de solitude, un lieu où les souvenirs s’amoncelaient, où les restes d’un passé créatif gisaient dans un désordre organisé. Les murs, jadis témoins de ses moments d’inspiration effervescente, étaient désormais ensevelis sous une pile de manuscrits inachevés, de feuilles éparses, de carnets poussiéreux. Chaque recoin de l’appartement semblait détenir une promesse non tenue, un projet avorté. Les ébauches de romans, de poèmes, de réflexions griffonnées à la hâte, étaient là, laissées en suspens comme des fils d’une toile qu’il n’avait jamais achevée.
Le bureau, qui avait été son terrain de création, était désormais une mer d’encre séchée et de papiers froissés. Des notes éparses, des idées lancées en l’air sans suite, des ratures témoignant d’un désespoir créatif. Gabriel avait cessé de faire le tri dans ce chaos. Il n’avait plus le courage de jeter, de ranger. C’était comme si chaque feuille, chaque page, portait un souvenir, une petite part de lui-même qu’il n’était pas prêt à abandonner, même si ces mots ne se transformaient plus en histoires. Le bruit du vent dehors s’engouffrait dans les fenêtres entrouvertes, secouant les papiers, les faisant danser comme des fantômes d’idées perdues.
Le canapé, où il passait des heures à regarder les taches de lumière sur le parquet, était lui aussi couvert de carnets et de livres abandonnés. Certains ouverts, comme des invitations à lire, mais Gabriel n’avait plus la patience d’y plonger. L’odeur du café froid stagnait dans l’air, une odeur persistante de vieux rêves.
C’est dans ce décor de ruines créatives qu’il se retrouvait chaque jour. Un homme parmi ses propres débris, écrivant à peine, perdant peu à peu sa certitude d’avoir jamais été celui qu’il avait voulu être. Les rires et les murmures de la ville à l’extérieur semblaient aussi lointains que des bruits d’un autre monde. Un monde qu’il avait autrefois fréquenté avec enthousiasme, un monde qu’il ne reconnaissait plus.
Pour fuir cette réalité qui l’oppressait, Gabriel se réfugiait souvent dans les cafés parisiens, ces lieux où la vie semblait vibrer d’une énergie qu’il ne parvenait plus à saisir. Paris, la ville de l’amour et de l’art, l’avait séduit autrefois avec ses rues pavées, ses terrasses animées et ses discussions passionnées. Mais aujourd’hui, tout semblait lointain, presque irréel. Chaque café devenait un havre de paix fragile, une illusion de normalité où il pouvait s’effacer parmi les autres. Assis dans un coin sombre, observant les gens autour de lui, il se sentait comme un spectateur de sa propre vie, une silhouette noyée dans le tumulte des voix et des rires qui résonnaient autour de lui.
Il choisissait ses cafés avec soin. Certains étaient petits et tranquilles, comme le Café de Flore, où l’atmosphère feutrée offrait une illusion de confort. D’autres étaient plus animés, comme le Café des Deux Magots, où l’effervescence des conversations semblait l’entraîner dans un tourbillon d’idées qu’il ne parvenait pourtant pas à saisir. Chaque tasse de café était une tentative désespérée de retrouver un peu de clarté. Mais les arômes de café et les bruits de tasses se brisaient contre l’épaisseur de son malaise, un malaise qu’il n’arrivait plus à fuir, malgré tous ses déplacements. Il s’installait dans ces cafés comme dans une chambre d’écho, attendant que le monde lui donne quelque chose, un signal, un mot, une idée… Mais les réponses restaient silencieuses, et la page de son carnet demeurait toujours vide.
À chaque café qu’il fréquentait, il observait les visages autour de lui, les gens plongés dans leurs discussions, leurs rires, leurs solitudes. Il les imaginait, ces inconnus, vivant des histoires passionnées, écrivant des chapitres de leur propre roman, pendant qu’il errait, sans but. Les yeux des autres semblaient plus vifs, plus clairs. Ils semblaient savoir ce qu’ils faisaient, où ils allaient. Lui, il se sentait suspendu dans un espace de vide, un espace où rien ne semblait bouger.
Dans le Café des Deux Magots, un homme en costume parlait avec animation à son collègue, ses bras s’agitant pour accompagner ses paroles, son visage animé par une passion indéniable. Gabriel le regardait, se demandant ce que cela faisait, de vivre ainsi avec une telle conviction, un tel désir. Il n’avait plus cette énergie, plus cette fièvre créatrice qui l’avait poussé à écrire pendant des années. Il n’avait plus cette capacité à se perdre dans les mots, à se laisser emporter par la magie de l’écriture.
De retour à son appartement, Gabriel s’allongeait sur son canapé, épuisé par une journée passée à chercher quelque chose qu’il n’arrivait pas à trouver. La lumière du soir pénétrait faiblement à travers les rideaux, jetant des ombres longues sur le sol. Il fixait le plafond, écoutant le bruit de la ville à l’extérieur, distant et familier, tout en se sentant à l'écart de tout cela. Ce monde était devenu trop grand pour lui, trop rapide. Et lui, il n’était plus qu’une ombre parmi les ombres, une silhouette errante dans un décor qu’il avait construit mais qu’il n’arrivait plus à habiter.
Il se leva lentement, alla chercher un carnet qu’il avait déposé dans le coin du bureau. Cette fois, il l’ouvrit. La couverture était usée, les pages frémissaient sous ses doigts. Peut-être que, juste peut-être, il retrouverait une lueur, un fragment de ce qu’il avait été, un fil à suivre. Mais à chaque fois qu’il posait la plume, il sentait un poids lourd sur ses épaules. Les mots étaient là, mais ils se dérobaient à lui, se fondaient dans l’air, s’échappaient entre ses doigts.
Il se rendormit, la page toujours blanche, le cœur toujours aussi lourd, mais une sensation étrange et insaisissable persistait dans le fond de son esprit. Quelque chose, quelque part, était sur le point de se révéler. Mais quand, comment, et sous quelle forme, il l’ignorait encore.
Chapitre 2 :
Le matin était gris, mais Gabriel ne prêta pas attention à la couleur du ciel. Comme chaque jour, il se leva, enfilant son manteau avec un geste presque mécanique, et prit la direction de son café habituel. Le *Café de la Paix*, un petit bistrot parisien niché au cœur du quartier Montparnasse, était devenu son refuge, son lieu de consolation. L’endroit avait une certaine rusticité qui lui plaisait – des murs tapissés de vieux posters de films, une décoration vintage aux touches art déco, et un parfum de café qui flottait dans l’air comme une promesse de réconfort.
Ce café était devenu sa seconde maison. Il y venait chaque jour, même lorsqu’il n’avait aucune envie d’écrire, simplement pour fuir la solitude pesante de son appartement encombré de manuscrits abandonnés. Là, il se noyait dans le brouhaha des conversations, dans les gestes familiers du serveur qui le reconnaissait à peine et qui lui apportait toujours le même café noir, sans sucre. Gabriel aimait l’anonymat que lui offrait cet endroit. Il pouvait observer sans être vu, écouter sans participer, un spectateur silencieux d’un monde qui ne semblait jamais le solliciter.
Ce matin-là, cependant, quelque chose était différent. Le café semblait légèrement plus animé que d’habitude, les voix plus chaudes, les rires plus cristallins, comme si une énergie invisible flottait dans l’air. Gabriel s’installa à sa table habituelle, au fond de la pièce, près de la fenêtre, et observa la scène, son carnet posé sur la table sans qu’il ne l’ouvre. Il se sentait épuisé, vidé de ses pensées, comme si son esprit était en pause, incapable de trouver un sujet, une idée, un point d’ancrage.
C’est alors qu’il la remarqua.
Alina.
Elle entra dans le café avec une grâce silencieuse, comme une apparition, ses pas feutrés sur le sol en carrelage. Gabriel la distingua immédiatement, non seulement à cause de sa beauté évidente, mais aussi à cause de l’aura étrange qui l’entourait, comme une lumière diffuse qui semblait jouer avec les ombres. Elle n’était pas comme les autres clientes qui fréquentaient le café. Il n’y avait pas cette hâte, ce besoin de consommer un café pour fuir le monde extérieur. Alina semblait appartenir à un autre temps, une époque révolue, peut-être celle des grandes dames élégantes qui s’attardaient à leur table sans se presser.
Elle avait les cheveux longs, d’un noir profond, tombant en cascade sur ses épaules, encadrant un visage d’une beauté délicate, presque irréelle. Ses yeux, d’un bleu perçant, semblaient scruter l’intérieur du café avec une intensité étrange, comme si elle en cherchait quelque chose… ou quelqu’un. Il y avait en elle quelque chose de mystérieux, une profondeur qui ne laissait pas de place à l’ordinaire. Ses vêtements, sobres mais élégants, semblaient avoir été choisis avec un soin particulier – une robe de laine noire, un manteau en cachemire qui tombait parfaitement sur ses épaules, et une écharpe en soie d’un bleu marine qui se fondait avec la couleur de ses yeux.
Elle s’assit à une table proche de la sienne, seul, commandant un thé vert. Le serveur, un jeune homme qui semblait encore un peu timide, lui offrit un sourire hésitant avant de s’éloigner. Gabriel la suivait du regard, une étrange sensation naissant au fond de son estomac. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi, mais quelque chose dans cette femme l’attirait irrésistiblement. Elle semblait être une note discordante dans le quotidien ordinaire de ce café. Tout, chez elle, semblait chargé de sens, comme si elle portait une histoire avec elle, une histoire qu’il ne connaissait pas, mais qu’il avait soudainement envie de découvrir.
Ses yeux, ces deux éclats de saphir, se posèrent sur Gabriel sans qu’il s’y attende. C’était un regard furtif, mais assez intense pour qu’il en ressente l'impact, un regard qui semblait sonder son âme. Gabriel détourna rapidement les yeux, mais il sentit une chaleur soudaine envahir son visage. Il n’avait jamais été de ceux qui recherchaient l’attention, encore moins celle d’une femme aussi énigmatique. Pourtant, quelque chose dans cette rencontre inattendue l’avait profondément perturbé, le faisant vaciller dans ses pensées. Il n’était pas prêt à affronter cette sensation étrange de désir non formulé qui commençait à s’insinuer en lui.
Alina se plongea à nouveau dans son thé, une main délicate autour de la tasse, les lèvres légèrement entrouvertes, comme si elle savourait chaque instant de tranquillité qu’elle s’offrait. Son calme semblait presque irréel dans cet endroit où tout le monde semblait être pressé de vivre. Gabriel la regarda à nouveau, cette fois-ci sans détourner les yeux. Un sentiment de déjà-vu, de rencontre inévitable, l’envahit. Il avait l’impression de l’avoir déjà vue quelque part, dans un rêve peut-être, ou dans un autre moment de sa vie qu’il avait oublié. Mais non, il n’y avait jamais eu de rencontre comme celle-ci, pas dans ses souvenirs.
Elle leva alors les yeux, et cette fois, leur regard se croisa, longuement. Il y avait dans ses yeux une sorte de défi, mais aussi de curiosité. Gabriel sentit un frisson le parcourir. Cette rencontre ne semblait pas être le fruit du hasard, et pourtant, il n’arrivait pas à comprendre ce qui la rendait si… essentielle. Quelque chose en lui se réveillait, un désir, une aspiration qu’il n’avait pas ressentis depuis bien trop longtemps. Il se sentait comme un homme sur le point de plonger dans un inconnu qui lui serait pourtant familier.
Elle lui sourit alors, un sourire discret mais chargé de sens. Gabriel, troublé, détourna de nouveau le regard, mais cette fois, un petit geste involontaire lui échappa : il écrivit son nom, « Alina », sur une feuille vierge de son carnet, comme une marque, une trace. Il se demanda, pendant un instant, si ce n’était pas elle qui, par sa simple présence, allait enfin briser le silence de son esprit, ce silence qui l’avait emprisonné si longtemps.
Alina, un nom gravé dans sa mémoire, un prénom qui résonnait comme une invitation à une nouvelle aventure. Mais Gabriel, plus que tout, se sentait attiré par une question qui surgissait déjà dans son esprit : qui était-elle, cette femme qui semblait aussi irréelle que le souffle du vent ?
Il n’avait pas encore la réponse, mais il savait que, ce matin-là, quelque chose venait de changer dans sa vie.
Le bruit du café semblait soudainement s’éteindre autour de Gabriel, comme si le monde avait pris une pause, une respiration suspendue dans l’air. Son regard croisa celui d’Alina, et dans cet instant fugace, tout devint intensément réel. Ses yeux, ces deux éclats d’un bleu profond et mystérieux, rencontrèrent les siens avec une telle clarté qu’il se sentit comme plongé dans une mer d’émotions qu’il n’avait pas su reconnaître depuis longtemps. C’était un regard qui semblait le sonder, le décortiquer, comme si Alina pouvait percevoir ce qu’il y avait de plus caché en lui, ce qu’il n’osait même pas avouer à lui-même.
Un sourire – discret, mais d’une douceur implacable – s’épanouit sur ses lèvres. Il n’était ni effrayé, ni provocant. C’était un sourire qui semblait dire : *Je t’ai vu. Tu m’as vu. Nous sommes ici, ensemble, un instant suspendu dans le temps*. Ce sourire, simple et silencieux, marquait un accord tacite, une invitation muette à un voyage inconnu, mais irrésistible. Gabriel ressentit un frisson, une chaleur soudaine qui se propagea dans son corps tout entier, une chaleur qu’il n’avait pas connue depuis trop longtemps.
Il détourna les yeux immédiatement, comme si l’intensité de ce regard l’avait paralysé. Ses mains, qui jusque-là étaient restées tranquilles, tremblaient légèrement. Un parfum doux et envoûtant effleura ses narines, un mélange subtil de fleurs, de musc et d’une douceur étrange, presque éthérée. C’était le parfum d’Alina, mais il n’était pas seulement un arôme, c’était une signature, une essence qui flottait autour d’elle et qui se mêlait à l’air, s’insinuant dans ses pensées. Ce parfum, presque irréel, semblait marquer son esprit de manière indélébile, comme si chaque note était une promesse, un secret que seule elle possédait.
Gabriel sentit son cœur s'emballer, mais il se força à se concentrer, à reprendre le contrôle. Il n’était qu’un homme ordinaire, un écrivain en quête de mots, pas un héros d’un roman où les regards croisés annoncent un amour fou. Pourtant, dans cette fraction de seconde, il se demanda si ce n’était pas exactement ce qu’il venait de vivre : un moment hors du temps, un instant de rencontre entre deux âmes qui s’étaient reconnues sans se comprendre.
Alina ne détourna pas immédiatement les yeux. Elle maintint son regard sur lui quelques secondes de plus, comme pour lui signifier qu’elle ne cherchait pas à fuir. Et puis, dans un silence presque parfait, elle se replongea dans son thé, reprenant son calme absolu. Mais ce fut suffisant pour que Gabriel, pris dans ce tourbillon de sensations, se sente désormais à la dérive. Il avait eu le temps de voir la lumière dans ses yeux, la profondeur de son regard, et il se savait déjà perdu dans cette énigme. Il avait l’impression que ce regard l’avait touché plus profondément qu’aucun autre, qu’il avait éveillé une partie de lui qu’il avait oubliée.
Il tenta de reprendre son souffle, mais la sensation d’« inachevé » restait. Le regard d’Alina était comme une promesse d’une histoire à écrire, de chapitres qui s’écriraient avec une encre différente, une encre qu’il ne connaissait pas encore. C’était comme si l’air autour de lui, soudainement plus lourd, portait un poids tout autre, quelque chose de plus lourd et de plus intense que la simple banalité de son quotidien. Chaque geste, chaque pensée semblait se concentrer autour de ce sourire, de ce parfum qui s’évanouissait lentement, mais qui laissait derrière lui un goût de désir, de fascination.
L’instant semblait suspendu, comme si le café lui-même attendait quelque chose, un mouvement, une réaction. Gabriel observa Alina une dernière fois, presque malgré lui. Elle ne semblait pas attendre de réponse, elle ne semblait pas chercher à provoquer quoi que ce soit. Elle était juste là, comme une présence silencieuse, pleine de mystères et de secrets, aussi lointaine que proche. Elle buvait son thé avec une tranquillité fascinante, et Gabriel sentit une irrésistible envie de connaître ce calme, de se perdre dans cette paix qui l’entourait.
Il aurait voulu s’approcher, lui parler, dire quelque chose, n’importe quoi. Mais les mots lui échappaient. Ils se faisaient rares, comme si, à l’instant même, la plume d’un écrivain se brisait avant d’avoir pu tracer une seule lettre. Il se contenta de rester là, figé, comme un spectateur d’un film qu’il ne comprenait pas encore. Il se demandait si tout cela n’était pas simplement le fruit d’une illusion, un rêve éveillé. Mais plus il essayait de raisonner, plus l’évidence frappait à sa porte : quelque chose venait de se passer. Une marque, une empreinte, une présence s’était inscrite en lui.
Alors qu’il se levait pour partir, la chaleur de l’air extérieur le frappant brusquement, il savait une chose : Alina n’était pas juste une rencontre fortuite, elle était un tournant. Il était maintenant conscient que la vie qu’il avait connue jusque-là, sa routine, ses cafés silencieux, ses pages vides, tout cela allait se fissurer sous la pression de ce moment suspendu. Il n’aurait plus jamais la possibilité d’ignorer ce qu’il venait de ressentir, ce qu’il venait de voir. Elle resterait là, dans son esprit, une présence inaltérable, une marque invisible mais indélébile.
Et sans qu’il le réalise complètement, Gabriel sut qu’il n’était plus le même homme qu’au matin de cette journée. Il avait croisé un regard, un simple sourire, mais ce petit geste avait bouleversé l’ordre de son monde.
Les jours qui suivirent, Gabriel se retrouva comme suspendu dans un état étrange, un mélange de fascination et de confusion qu’il n’avait pas ressenti depuis des années. Alina, bien qu’elle n’ait pas fait le moindre geste particulier pour se faire remarquer, occupait ses pensées d'une manière implacable. Il n’arrivait pas à expliquer pourquoi, mais il la voyait partout : dans les rues qu’il empruntait chaque matin, dans le flot de visages qu’il croisait sans les regarder, dans le brouhaha de ses cafés où il s’était longtemps perdu sans jamais rien attendre. Tout semblait désormais l'évoquer la couleur de ses yeux, la douceur de son parfum, la grâce imperceptible de ses gestes.
À chaque instant, Gabriel se surprenait à espérer la revoir, à chercher une quelconque trace d’elle dans le monde qui l’entourait. Il se demandait comment une rencontre aussi brève, un simple échange de regards, pouvait être capable de le hanter à ce point. C’était comme si cette femme, Alina, avait déposé en lui une graine invisible qui ne cessait de germer, de se déployer, créant des racines d’une intensité qu’il n’avait pas su prévoir. Il se sentait attiré par elle, mais ce n'était pas une attraction physique ordinaire. C’était quelque chose de plus insaisissable, un magnétisme silencieux, une sorte de force qui échappait à la logique.
Lorsqu’il se rendait dans son café habituel, il scrutait chaque coin, espérant, sans jamais se l’avouer complètement, qu’Alina serait là, à la même table, sous la même lumière, avec la même aura d’énigme. Mais elle n’était jamais là, bien sûr. Et chaque jour qui passait sans la voir était un jour plus lourd que le précédent. Il s’assoyait à sa table, au fond du café, et se perdait dans ses pensées, cherchant en vain à écrire, à retrouver son inspiration, mais l’image d’Alina, l’empreinte de son regard, envahissait chaque page blanche.
Il ne savait pas pourquoi, mais il avait l’impression qu’elle s’était inscrite dans ses cellules, dans ses pores, une ombre subtile mais persistante qui le suivait partout. La sensation d’être hypnotisé le submergeait parfois, aussi délicatement qu’une brise d’été. Il n'était pas du genre à croire aux illusions ou aux enchantements, mais Alina était comme un sortilège que rien ne semblait pouvoir briser.
Il se surprenait à imaginer des histoires autour d’elle. Qui était-elle vraiment ? D’où venait-elle ? Pourquoi son regard l’avait-il affecté de cette manière ? Était-elle simplement une femme parmi tant d’autres, ou était-elle la clé d’un mystère qu’il n’avait pas encore percé ? Ses pensées se tordaient autour de ces questions comme un fil qu’on essaie de démêler, mais chaque fois qu’il croyait s’approcher d’une réponse, il se retrouvait plus perdu qu’auparavant.
Le parfum d'Alina, doux et envoûtant, persistait dans son esprit, bien après qu'il ait quitté le café. Parfois, il fermait les yeux et se laissait envahir par cette odeur, se demandant si cela était réel ou simplement une projection de son esprit. Il avait l'impression qu'un simple parfum pouvait capturer l’essence d’un être tout entier, qu’Alina était cette odeur même, un parfum subtil qui ne laissait jamais de répit, une émanation d’elle qui s’imprégnait à chaque respiration. Il se demandait si elle avait conscience de cet effet qu’elle produisait sur lui, ou si tout cela n’était que le fruit de son imagination, le reflet d’une solitude trop longtemps refoulée.
Un après-midi, alors qu’il errait dans les rues de Paris, Gabriel croisa à nouveau son reflet dans une vitrine de magasin. Il s’arrêta, frappé par la vision d’un homme qu’il ne reconnaissait plus. Ses traits étaient marqués, son regard absent, comme si son esprit n’était plus tout à fait le sien. Il se demanda ce qui avait bien pu lui arriver. Il n’avait pas changé physiquement, pas vraiment. Et pourtant, il y avait quelque chose en lui qui avait été bouleversé, quelque chose d’invisible mais si palpable qu’il avait l’impression de ne plus pouvoir se contrôler.
C’était comme si, quelque part, Alina était déjà entrée dans sa vie d’une manière qu’il ne comprenait pas, mais qui était désormais inévitable. Elle était comme une brume persistante, un souffle discret qui venait se glisser dans ses pensées à tout moment. Il se demandait si c’était cela, la tentation. Non pas un désir immédiat ou un besoin irrépressible, mais une sensation de manque, une brûlure invisible, un vide que seul le souvenir de ce regard pouvait combler.
Il se sentait comme un homme attiré par l’inconnu, une promesse non formulée, une aventure qu’il n’avait pas choisie mais qui semblait vouloir s’imposer à lui. Il n’avait pas encore fait le premier pas vers elle, il ne savait même pas si cela serait un jour possible, mais il sentait que, d’une manière ou d’une autre, il se dirigeait lentement mais sûrement vers un destin qu’il ne pourrait pas éviter.
Alina, avec son regard mystérieux, son parfum envoûtant, sa présence presque irréelle, était devenue l’étoile polaire de ses pensées, l’attraction silencieuse qui le poussait à avancer, sans savoir exactement où. Et, au fond de lui, une question persistait : Est-ce que l’invisible est plus puissant que le tangible ?
Chapitre 3 :
Les jours s’écoulaient, mais l’image d’Alina ne cessait de hanter l’esprit de Gabriel. Elle était là, présente dans chaque coin de sa vie quotidienne, comme une ombre douce qui s’immisçait dans chacune de ses pensées. Il n’arrivait pas à se débarrasser de cette sensation. Chaque matin, au moment où il ouvrait les yeux, il la revoyait. Chaque nuit, lorsqu’il fermait les paupières, c’était son visage, ses yeux, son parfum qui l’accompagnaient dans ses rêves. Ce n’était pas de la simple mémoire ; c’était une obsession qui se nourrissait de lui, une obsession grandissante et inévitable, qui refusait de le laisser tranquille.
Gabriel, en vérité, ne savait plus s’il rêvait encore d’elle ou si ce qu’il vivait était une réalité. Ses pensées se tordaient autour d’elle avec une intensité qu’il n’avait jamais connue. L’image d’Alina était devenue la toile de fond de toutes ses réflexions, le fil conducteur de ses souvenirs, qu’ils soient réels ou imaginés. Il s’étonnait parfois de la façon dont ses fantasmes prenaient forme. Il s’imaginait la retrouver dans des cafés différents, l’observer à travers des fenêtres brumeuses, la surprendre dans des moments fragiles où sa beauté semblait infiniment plus envoûtante.
Le soir, lorsque l’obscurité envahissait son appartement, il se retrouvait seul avec ses pensées. Ses doigts effleuraient le carnet qui reposait toujours sur son bureau, mais il n’écrivait rien. C’était comme si la page blanche lui échappait, refusant de se laisser remplir de mots. Les seules images qui se formaient dans son esprit étaient celles d’Alina : une silhouette dans la brume, une silhouette qui dansait sous un ciel étoilé, un corps éthéré se déplaçant avec une grâce presque surnaturelle. Parfois, il l’imaginait dans un jardin secret qu’il aurait créé pour elle, un endroit où les arbres se courberaient pour la laisser passer, où chaque fleur aurait une couleur plus intense, plus vivante. Elle serait là, seule, comme une déesse solitaire, et lui, il la regarderait, fasciné, sans oser la déranger.
Il s’imaginait aussi des scènes de plus en plus intenses, où Alina devenait sa muse, l’inspiratrice d’une nouvelle œuvre, d’un roman qui naîtrait de cette obsession. Chaque mouvement d’elle serait une note de musique qu’il transcrirait, chaque sourire une touche de peinture qu’il poserait sur une toile invisible. Gabriel se surprenait à fantasmer sur les mots qu’il écrirait sur elle, sur la manière dont il décrirait la beauté de ses gestes, la finesse de ses traits. Il se laissait emporter par cette vision d’une Alina idéale, presque irréelle, une incarnation de tout ce qu’il avait toujours cherché sans le savoir.
Le regard qu’elle lui avait lancé, ce sourire énigmatique, ces quelques secondes qui avaient suffi à troubler son existence : tout cela devenait l’essence même de son désir. Mais ce désir n’était pas celui d’un simple rapprochement physique. Non, Gabriel se retrouvait en proie à une forme de quête mystique. Il cherchait à comprendre cette femme, à décoder ce qui, en elle, le frappait avec tant de force. Il se demandait si Alina était simplement une illusion qu’il s’était forgée dans son esprit ou si elle représentait quelque chose de bien plus profond. Il n’arrivait pas à se défaire de l’idée qu’elle était une énigme à résoudre, un puzzle dont les pièces s’échappaient constamment.
Parfois, dans ses moments de solitude la plus intense, il se rendait dans des lieux qu’il imaginait qu’Alina aurait pu fréquenter. Il arpentait les rues pavées de Paris, les quais de la Seine, les vieux quartiers où le temps semblait s’être arrêté. Et il se surprenait à la chercher, à imaginer qu’elle se tenait là, quelque part, à quelques pas de lui, invisibles mais tout de même présentes. Il s’arrêtait souvent, regardant autour de lui, espérant apercevoir son regard, sa silhouette. Mais bien sûr, elle n’était jamais là. C’était seulement dans sa tête qu’elle existait, et pourtant, il ne pouvait se détacher de ce monde qu’il avait créé pour elle.
Dans ses moments de doute, Gabriel se demandait s’il était en train de perdre pied, s’il ne devenait pas fou à force de ressasser sans cesse les mêmes pensées, les mêmes images. Il aurait voulu qu’Alina soit plus qu’une idée, plus qu’un mirage dans sa tête. Il aurait voulu qu’elle soit réelle, qu’il puisse la rencontrer à nouveau, qu’il puisse lui parler, lui poser des questions, comprendre ce qui se cachait derrière cette présence silencieuse qui l’obsédait. Mais l’absence d’Alina n’était pas simplement un vide ; c’était une présence intangible, un manque qui se faisait sentir dans chaque recoin de sa vie.
Gabriel se leva un matin, la tête pleine de rêves et d’images d’elle. Il se rendit à son café habituel, avec l’espoir qu’Alina serait là, comme par magie, comme si cette attente persistante allait enfin trouver son aboutissement. Mais bien sûr, elle n’y était pas. Elle n’était jamais là, et pourtant, il continuait de venir. Il n’arrivait pas à se résoudre à abandonner cette idée d’une rencontre, d’une opportunité, d’une nouvelle réalité qui pourrait se dessiner si seulement il pouvait la retrouver.
Il s’assit à sa table habituelle, prit son carnet, et attendit. Les minutes s’étiraient sans fin, et il se sentait à la fois anxieux et excité. Il attendait quelque chose qu’il ne pouvait même pas nommer. Mais plus il attendait, plus il sentait que l’obsession, cette obsession douce et lancinante, se resserrait autour de lui. Elle devenait la seule chose qu’il connaissait vraiment, plus réelle que tout le reste. Le café, les murs, la lumière, tout cela semblait appartenir à un monde lointain. Tout ce qui comptait désormais, c’était Alina.
Elle n’était pas encore là, mais Gabriel savait une chose : elle reviendrait, et à ce moment-là, il ne serait plus le même homme.
À mesure que les jours passaient, l’obsession de Gabriel se transformait. Ce qui avait commencé comme une simple fascination se muait en quelque chose de plus puissant, de plus viscéral. Le désir pour Alina, bien qu’inexpliqué, prenait une forme de plus en plus tangible dans son esprit. Mais ce désir n’était pas un désir ordinaire. Ce n’était pas la brûlure éphémère qu’il avait connue dans ses anciennes relations, un désir qui venait et s’éteignait comme une flamme dans le vent. Non, ce qu’il ressentait pour Alina était différent : c’était une flamme qui ne s’éteignait jamais, une flamme douce, profonde, presque irréelle. C’était un désir qui ne cherchait pas la consommation, mais l’adoration, l’aspiration vers quelque chose d’inaccessible et de sublime.
Il repensait souvent à ses anciennes relations, à Émilie, à ces femmes avec qui il avait partagé des fragments de sa vie. L’intensité de ses amours passées, aussi passionnées aient-elles été, ne pouvaient se comparer à ce qu’il ressentait pour Alina. Avec Émilie, il y avait eu une tendresse, un attachement, mais aussi une lassitude, une certaine prévisibilité dans leur relation. Leurs discussions devenaient répétitives, les gestes d’affection devenaient des habitudes, et peu à peu, l’étreinte de l’amour s’était effritée. Il y avait eu des moments de bonheur, bien sûr, mais ils s’étaient dissous dans le quotidien, comme la brume d’un matin qui disparaît dès les premiers rayons du soleil.
Alina, en revanche, représentait l’inaccessible. Elle n’était pas un visage qu’il pouvait toucher, une voix qu’il pouvait entendre. Elle était une image, une idée, un fantasme. Elle était la personnification du désir pur, du désir dans sa forme la plus pure et la plus inaltérée. Il se rendait bien compte que son désir pour elle ne se nourrissait pas de sa réalité, mais de ce qu’il projetait sur elle. Pourtant, cette projection était devenue plus réelle que tout ce qu’il avait connu auparavant.
Il se surprenait à comparer ses anciennes amantes à Alina, cherchant à cerner cette différence. Ses relations passées s’étaient toutes construites autour de la découverte de l’autre, de ses failles, de ses défauts. Elles étaient ancrées dans le réel, avec ses hauts et ses bas. Alina, elle, n’était pas une personne qu’il pouvait connaître ou comprendre. Elle n’était qu’une silhouette floue dans son esprit, une présence irréelle, et c’était justement cette irréalité qui nourrissait son désir. Il ne la connaissait pas, et c’était ce mystère qui l’attirait irrémédiablement. Chaque détail de son image était une fiction qu’il tissait lui-même, mais cette fiction avait pris une forme tellement puissante qu’elle l’engloutissait.
Dans ses moments de solitude, Gabriel se mit à écrire de plus en plus. L’écriture était devenue son seul refuge, son seul moyen d’extérioriser cette obsession grandissante. Mais plus il écrivait, plus il se rendait compte que ses textes, autrefois nourris de l’ordinaire, se transformaient en une vaste ode à Alina, à cette vision idéalisée de la femme qui occupait toutes ses pensées. Chaque mot, chaque phrase semblait la magnifier, la glorifier, la placer sur un piédestal où elle n’était rien d’autre qu’une déesse inaccessible.
Ses écrits n’étaient plus des récits de vie, mais des fragments de rêves. Ses personnages étaient des ombres de ce qu’il imaginait d’Alina, des êtres éthérés qui se mouvaient dans des paysages irréels, des lieux où l’air semblait plus pur, plus lourd de désir. Les mots qu’il posait sur le papier se nourrissaient de cette sensation d’inachevé, de cette quête sans fin de quelque chose qui ne pourrait jamais être atteint. Il s'imaginait décrire la texture de sa peau, la lumière qui dansait dans ses cheveux, la douceur de ses gestes… mais tout cela restait flou, insaisissable. Chaque description était un tableau qui ne cessait de s’étirer, chaque phrase un miroir qui se brisait avant qu’il n’ait pu en voir le reflet.
Pourtant, l’écriture, bien qu’envahie par Alina, ne semblait pas lui apporter la paix. Chaque texte qu’il produisait ne faisait qu’amplifier son désir. Il se retrouvait pris dans un cercle vicieux : l’écriture éveillait ses fantasmes, et ces fantasmes nourrissaient son désir, un désir qui, à chaque instant, devenait plus pressant, plus insatiable. Il se disait qu’il pourrait un jour la rencontrer, qu’il pourrait la sortir de son monde imaginaire pour la placer dans le réel. Mais cette pensée le terrifiait tout autant qu’elle l’exaltait.
Gabriel se demandait si, en la rencontrant, il ne risquait pas de détruire ce rêve parfait qu’il avait créé. Peut-être qu’elle ne correspondrait pas à l’image qu’il s’en était faite, qu’elle serait une simple femme, comme toutes les autres, avec ses défauts, ses ombres. Et si elle n’était qu’une illusion qu’il s’était fabriquée dans le vide de son existence ? L’idée de la rendre réelle, de la faire sortir de la sphère purement idéalisée dans laquelle il l’avait placée, le terrifiait. Mais en même temps, il se sentait pris au piège de cette réalité parallèle qu’il avait inventée.
Chaque soir, lorsqu’il fermait son carnet, les mots restaient suspendus dans l’air autour de lui, comme des promesses non tenues. Il savait qu’il n’avait pas écrit pour elle, pas encore. Il avait écrit pour l’idée d’elle, pour l’image qu’il s’était forgée. Et c’était peut-être cela, au fond, qui était le plus dangereux : il était tombé amoureux de l’idée d’Alina, bien plus que de la femme réelle.
C’était le désir qui gouvernait ses pensées, une énergie dévorante, irréelle, et Gabriel n’arrivait plus à se libérer de cette passion infinie.
Les souvenirs de ses anciennes relations remontaient en lui, éclatant par vagues, chaque image accompagnée de son lot d’émotions enfouies. Gabriel n’avait jamais pris le temps de les analyser, ces relations qui, au fil des ans, s’étaient effritées comme des papiers anciens, oubliés dans les tiroirs de sa mémoire. Mais aujourd’hui, plongé dans son obsession pour Alina, il commençait à voir en ces souvenirs une sorte de miroir, une mise en garde sur la nature du désir et de l’amour non partagé.
Il pensa à Margot, sa première grande histoire d'amour. Elle était belle, pleine de vie, et pourtant, il avait toujours ressenti un vide qu’il ne savait pas combler. Leur relation était marquée par une intensité palpable, mais aussi par une insatisfaction silencieuse. Margot avait toujours été ailleurs, un peu plus distante qu’il ne le souhaitait, ses yeux perdus dans des horizons lointains. Gabriel, à l’époque, n’avait pas vu que ses attentes étaient trop grandes, que ce qu’il attendait d’elle n’était pas de l’amour, mais une forme de perfection qu’elle n’avait ni demandée ni souhaitée. Il avait idéalisé Margot, lui prêtant des qualités qu’elle ne possédait pas, mais dont il rêvait. Elle devenait, dans son esprit, la femme parfaite, la muse qui l'inspirait. Mais chaque tentative pour combler ce vide creusait davantage la distance entre eux. Un jour, elle s’était simplement éloignée, non pas avec colère, mais avec une absence qui semblait avoir existé depuis toujours. Gabriel, trop aveugle à l’époque, n’avait jamais compris ce départ, jusqu’à ce qu’il réalise, trop tard, qu’il avait perdu non pas l’amour, mais l’illusion de l’amour qu’il s’était créé.
Puis il y eut Lise, une femme avec laquelle il avait cru pouvoir tout reconstruire. Ils s’étaient rencontrés dans un moment de fragilité, chacun apportant à l’autre une forme de réconfort. Mais, en se remettant ensemble, Gabriel était tombé dans le piège de l’attachement maladif, se perdant dans une relation où la dépendance prenait le pas sur la passion. Il avait idéalisé Lise comme celle qui pourrait effacer toutes les erreurs du passé, celle qui remplacerait l’absence de Margot. Mais, rapidement, la réalité s’était imposée. Lise, qui au début semblait aussi pleine de promesses, s’était révélée tout simplement humaine, avec ses faiblesses, ses contradictions. Et à mesure que les imperfections de Lise se faisaient jour, Gabriel avait commencé à se lasser, comme il se lassait toujours. Parce que dans son esprit, il attendait l’image de la perfection, un idéal qu’aucune femme ne pouvait atteindre. Lise, elle aussi, l’avait quitté, lassée de cet amour frénétique, de ce désir désespéré qui ne faisait qu’éroder ce qui restait de la relation. Le départ de Lise, cette fois, l’avait laissé avec un goût amer de regret. Non pas à cause de ce qu’il avait perdu, mais à cause de ce qu’il n’avait jamais vraiment eu : un amour vrai, sans idéalisation.
Et puis il y avait eu Émilie, sa compagne actuelle, qui semblait, au début, être la réponse à tout. Mais à mesure que le temps passait, Gabriel s’était rendu compte que l’idéalisme n’avait pas cessé de le hanter. Il s’était promis qu’il ne répéterait pas les mêmes erreurs qu'avec Margot et Lise, qu’il s’accepterait tel qu’il était, qu’il accepterait aussi Émilie dans toute sa complexité. Mais une partie de lui continuait à projeter sur elle des attentes qu’elle ne pouvait satisfaire. Peut-être était-ce cette incapacité à voir Émilie telle qu’elle était réellement, sans fard, sans idéal, qui avait conduit leur relation à s’essouffler. Il n’avait pas su aimer Émilie pour ce qu’elle était ; il avait cherché à l’implanter dans un rôle qu’elle n’avait jamais voulu endosser. Leur amour s’était effrité sous le poids de cette distance qu’il avait lui-même créée, une distance qu’il n’avait jamais osé reconnaître. Émilie n’avait pas changé, elle n’avait fait que se transformer aux yeux de Gabriel en un personnage d’un drame qu’il s’était écrit, un personnage qu’il n’avait pas su voir pour ce qu’il était : une femme avec ses doutes, ses peurs, ses faiblesses. La réalité, encore une fois, l’avait rattrapé, et ce qu’il avait pris pour de l’amour s’était étiolé dans l’attente d’un idéal qui ne venait jamais.
Au fond de lui, Gabriel comprit que ce qu’il avait fait, à chaque fois, c’était une projection. Une projection de ses rêves, de ses désirs non comblés, sur des femmes qui n’avaient rien demandé de tout cela. Elles étaient devenues des symboles, des reflets déformés de ses propres attentes et de ses propres peurs. Et chaque fois, ce qui avait semblé être de l’amour était en réalité de l’illusion. Il avait cherché, dans chacune d’elles, une réponse, un miroir qui le renverrait à une version idéalisée de lui-même, mais aussi une version idéalisée de l’amour. Mais cet amour était une construction fragile, fondée sur des rêves de perfection et d’absolu, et non sur l’acceptation de la réalité.
Aujourd'hui, avec Alina, il se rendait compte que ses erreurs passées étaient là, à portée de main. Ses précédentes relations n’avaient été que des répétitions de cette même quête : chercher quelque chose d’irréel et espérer que cela puisse se réaliser. L’amour qu’il avait cru vivre n’avait jamais été qu’une illusion, une quête de perfection. Alina, dans son esprit, était devenue ce miroir éclatant, une image pure qu’il ne pouvait atteindre, une promesse de beauté sans fin.
Mais Gabriel se surprit à comprendre, dans cette réflexion, que la véritable nature du désir, ce qu’il ressentait pour Alina, était précisément ce qui l’éloignait d’elle. C’était cette incapacité à accepter le réel, cette fascination pour ce qui ne pouvait être que fantasmé, qui le condamnait à répéter les mêmes erreurs. Il avait toujours cherché à combler un vide avec des projections, et il se rendait compte aujourd’hui que ce vide ne serait jamais comblé par une autre personne, mais par l’acceptation de la réalité de l’amour : imparfait, incertain, et souvent décevant. Pourtant, il savait aussi qu’il ne pourrait pas s’échapper de l’image d’Alina. C’était elle qui, cette fois, représentait l’énigme qu’il cherchait à résoudre, la dernière illusion dans laquelle il s’enfonçait, à la fois fasciné et terrifié.
Chapitre 4 :
Les jours s’étaient étirés comme une longue attente suspendue, chaque minute une éternité. Gabriel était désormais pris dans un tourbillon qu’il ne pouvait plus contrôler. Son désir pour Alina, déjà si intense, s’était transformé en une obsession. Ce n’était plus une simple pensée fugace, une projection idéalisée. Non, c’était un besoin urgent, viscéral, comme si quelque part dans le monde, une vérité cachée attendait d’être découverte. La vérité sur elle, sur ce qu’elle représentait, sur ce qui, exactement, l’avait poussée à le faire entrer dans son univers, même de façon aussi fugitive.
Il se rendait chaque jour au café, comme un pèlerin à la recherche d’un signe. Le vieux bistrot aux murs fanés, à l’atmosphère feutrée, était devenu son terrain de quête. Il s’assit toujours à la même table, la petite table au fond, près de la fenêtre, là où il l’avait aperçue pour la première fois. L’endroit semblait figé dans le temps, mais pour lui, chaque objet, chaque café, chaque bruit devenait un indice, un élément du puzzle qu’il devait assembler pour comprendre Alina. Le barista, qu’il connaissait à peine, semblait ignorer la ferveur de sa quête. Gabriel l’observait lui aussi, comme s’il espérait que ce serveur banal puisse, d’une manière ou d’une autre, détenir un secret.
Chaque jour, il scrutait les visages des clients, espérant croiser le regard d’Alina, cette silhouette presque irréelle qu’il poursuivait sans relâche. Mais Alina ne revenait pas. Ni aujourd’hui, ni hier. Ni demain, probablement. Pourtant, il revenait sans cesse. Il n’avait même pas conscience du nombre de fois où il s’était assis à cette table, les yeux perdus dans les pages de ses carnets, dans les feuilles blanches sur lesquelles il avait posé des mots fuyants, des mots trop vagues pour en faire une histoire. Il attendait plus que l’inspiration. Il attendait une rencontre, un signe, une résonance, comme une vibration invisible qui lui dirait que, quelque part, elle existait vraiment.
Il commença à observer les lieux avec un œil plus perçant. Chaque recoin du café semblait renfermer des traces d’elle. L’odeur de son parfum, peut-être, dans l’air encore chargé de l’arôme du café du matin, ou ce petit coin près de la cheminée où elle s’était assise, un livre entre les mains, plongée dans une lecture silencieuse. Gabriel nota chaque détail, cherchant à comprendre. Il regarda les objets autour de lui, comme s’il pouvait y trouver une empreinte de son passage. Il remarqua le petit livre abandonné sur une étagère, un roman de Proust, la couverture légèrement abîmée, peut-être celui qu’elle avait posé un instant avant de s’en aller. C’était comme si chaque élément était une métaphore de son absence, une absence qui se faisait de plus en plus présente dans son esprit.
Les conversations autour de lui, les bruits familiers du café, devenaient de simples bruits de fond. Les autres clients, avec leurs existences ordinaires, semblaient lointains. Gabriel s’immergeait dans un monde parallèle, celui où Alina était la clé, celui où il n’existait plus que la quête pour la retrouver. C’était un monde dans lequel il se sentait de plus en plus à l’aise, presque comme s’il s’agissait de sa véritable réalité. Chaque autre distraction devenait superflue, une perte de temps, une interférence avec l’unique objectif qui habitait désormais son esprit.
Il retourna à la même table chaque jour, mais un sentiment d’impatience, de frustration grandissait en lui. Ses pensées se noyaient dans un tourbillon d’incertitudes. Comment retrouver quelqu’un qu’il ne connaissait presque pas ? Comment déchiffrer le mystère d’Alina, une femme qu’il n’avait vue que quelques instants, mais qui avait pris une place démesurée dans son esprit ? Et plus il cherchait des indices, plus il devenait conscient de l’absurdité de sa quête. Il savait que tout cela ne reposait que sur une rencontre fugace, un regard, un sourire échangé. Ce n’était pas un souvenir tangible, mais une empreinte laissée par l’absence.
Il commença à se poser des questions qu’il n’avait jamais osé se poser avant. Pourquoi cette femme, qu’il ne connaissait pas, l’avait-elle touché avec une telle force ? Qu'est-ce qui avait fait naître une obsession aussi puissante en lui, aussi irrationnelle ? Était-ce simplement le mystère qui l’entourait, ou y avait-il quelque chose de plus profond ? Était-ce ce regard qu’il avait perçu, mais jamais totalement compris ? Cette rencontre si brève qu’elle semblait avoir été volée à la réalité ?
Un soir, alors que la lumière du café déclinait lentement, que les ombres s’allongeaient et que la nuit semblait emplir chaque recoin du lieu, Gabriel eut une idée folle. Peut-être que, plutôt que de chercher Alina directement, il pourrait trouver un indice sur elle dans les lieux mêmes où elle avait été. Une trace laissée dans le temps. Peut-être une phrase écrite dans un livre, une note, ou un détail que personne n’avait remarqué.
Il se leva brusquement, comme frappé par une révélation. Il parcourut la pièce, s’approcha de la bibliothèque, parcourant les titres du regard. Son attention se fixa sur un livre en particulier, un ouvrage de poésie qu’il n’avait jamais vu auparavant. Il le tira de l’étagère, et en l’ouvrant, une feuille pliée se glissa de l’intérieur. Gabriel la déplia avec précaution. Un petit mot, griffonné à la hâte, y était écrit : *« Si un jour nos chemins se croisent à nouveau, sache que j’aurai pris un autre train. »*
Il se figea, le cœur battant. Était-ce un message de sa part ? Était-ce une coïncidence, ou bien Alina avait-elle, d’une manière presque mystique, laissé une trace de son passage ici, dans ce café, à sa portée ? Gabriel lut et relut la phrase. Un frisson parcourut son échine. Il se sentit soudain tout proche d’elle, tout proche de comprendre.
Il savait, au fond de lui, qu’il venait de franchir une nouvelle étape dans sa quête. La vérité sur Alina, sur ce qu’elle était vraiment, était plus proche que jamais. Mais Gabriel le savait aussi : il ne pourrait jamais revenir en arrière. Cette quête, cette obsession, avait pris un tournant irréversible.
Chaque jour, Gabriel se retrouvait seul face à l’énigme de cette rencontre, la sienne et celle d'Alina, figée dans un instant suspendu, un souvenir dont il ne pouvait se défaire. La brume de cet après-midi-là, ce café animé mais silencieux, le mouvement furtif de sa main effleurant une tasse, tout semblait avoir pris une dimension mythologique dans son esprit. Chaque détail, aussi fugitif soit-il, était devenu une pièce d'un puzzle complexe qu'il ne cessait de tenter de résoudre.
Il se souvenait du parfum enivrant qu'Alina portait, un parfum si subtil qu’il flottait encore dans l'air autour de lui. Ce n’était pas une fragrance envahissante, mais plutôt une empreinte indélébile qui se glissait dans ses narines, l’accompagnant partout où il allait. Un parfum floral, léger, presque éthéré, mais avec une profondeur qui l'enveloppait sans jamais l'étouffer. Gabriel n’arrivait pas à trouver un parfum similaire dans les magasins, rien qui ne ressemble exactement à celui qu’il avait perçu ce jour-là. C’était comme une signature, une essence qui ne pouvait appartenir qu’à elle. Et pourtant, il ne pourrait jamais le retrouver, ni le toucher, car tout ce parfum représentait désormais pour lui, c’était l’éphémère. Chaque fois qu’il se fermait les yeux, il espérait respirer encore un peu de cette présence, mais la réalité revenait vite, lui rappelant qu’il s’agissait d’une illusion fugace.
Son regard… Gabriel ne pouvait s'empêcher de le revoir dans son esprit. Ce regard. Celui qu’elle lui avait lancé, non pas par défi ou séduction, mais comme une sorte de lumière douce, presque curieuse, qui semblait sonder l’essence même de son être. Il n’avait jamais vu un regard aussi pénétrant, aussi silencieux, mais aussi chargé de mille non-dits. Il l’avait vu, et en même temps, il ne l’avait pas vue. Il s’était perdu dans ce regard, se sentant à la fois vu et invisible. Les pupilles d’Alina, d’une couleur presque indescriptible, avaient reflété quelque chose de lointain, comme un secret qu’elle seule détenait. Ni bleu, ni vert, mais une teinte de gris profond, changeant à chaque mouvement, comme si ses yeux absorbaient la lumière du monde autour d’elle, tout en lui en échappant. C’était un regard qui, paradoxalement, ne demandait rien et disait tout. C’était comme si Gabriel n’avait eu aucune importance dans l’équation de ce regard, comme si Alina ne faisait que traverser sa vie sans jamais vraiment y entrer. Mais pourtant, ce simple croisement de leurs regards avait suffit à le marquer à jamais.
Et puis il y avait la couleur de ses cheveux, qu’il revoyait sans cesse, dans son esprit comme un éclat de cuivre sous la lumière tamisée du café. Ils étaient longs, presque sauvages, comme une cascade qui se brisait en vagues sous la douce lumière d’une fin de journée. Il s’était demandé, à plusieurs reprises, pourquoi il se souvenait si précisément de la couleur de ses cheveux. Parce qu’ils semblaient irréels, comme une peinture. Parce qu’ils étaient une autre métaphore du mystère qu’elle incarnait. Une teinte ardente, mais à la fois délicate, qui semblait le narguer, s’échappant entre ses doigts comme du sable fin, se dissipant dès qu’il tentait de les saisir plus concrètement. Chaque fois qu’il pensait à eux, il avait presque l’impression que sa mémoire se jouait de lui, qu’il imaginait la couleur selon son désir, et non selon la réalité.
Ces détails, plus insignifiants que d’autres, devenaient peu à peu les fondations de son obsession. Ils étaient devenus les briques d’un édifice imaginaire qu’il érigait autour de la figure d’Alina, un édifice qui se nourrissait à la fois de ses fantasmes et de sa frustration. Il se demandait sans cesse pourquoi ces petits détails le hantaient avec tant de persistance, pourquoi son esprit se nourrissait de ces fragments éparpillés de la réalité. Il n’avait pas eu le temps de poser une question, de réellement découvrir qui elle était. Et c’était peut-être là tout le problème : il avait eu trop peu de temps pour l’approcher, pour comprendre ce qui se cachait derrière ce regard et ce parfum. Mais c’était précisément ce manque de réponses qui rendait cette image encore plus désirée, plus inaccessible.
Les détails avaient cette capacité de nourrir un désir qui ne s’apaisait jamais. Gabriel aurait voulu pouvoir revenir en arrière, pour saisir le moment où il l’avait vue, pour arrêter le temps et l’observer davantage. Mais ce moment, tout comme cette rencontre, avait disparu aussi vite qu’il était apparu. Et c’était cette fugacité qui alimentait son désir, comme une faim insatiable. Chaque souvenir, chaque sensation s’imprégnait d’une intensité qu’il ne parvenait pas à apprivoiser, et chaque tentative de l’atteindre se transformait en frustration.
Alors il s'était mis à reconstruire l’image d’Alina, fragment après fragment, dans un rêve éveillé. Chaque détail devenait plus important que le précédent, et plus il les accumulait, plus il perdait de vue la réalité de ce qu’elle était. Il commençait à s’éloigner de la personne qu’il avait réellement rencontrée, pour s’enfoncer dans la femme qu’il s’était fabriquée. Et cette femme, dans son esprit, était parfaite, pure, sans défaut. Une vision idéalisée. Mais chaque détail qu’il accumulait, chaque souvenir du regard, du parfum, des cheveux, devenait une double-edged sword. Car plus il la fabriquait, plus elle s’éloignait de lui.
Alina devenait un concept. Et ce concept le dévorait. Elle n’était plus qu’une illusion à attraper, un miroir de ses propres désirs inassouvis, une forme abstraite qui ne pouvait jamais se concrétiser. Mais dans ce jeu de création, Gabriel était piégé. Les souvenirs se superposaient aux fantasmes, et la vérité, la seule vérité qui pourrait un jour le libérer, semblait hors de portée.
Les pages blanches de son carnet se sont peu à peu remplies de mots. Mais ces mots n'étaient pas les siens. Ou du moins, pas totalement. Ils étaient les échos de pensées qu’il n’arrivait plus à contrôler, des projections de ce qu’il désirait, des fantasmes qu’il tissait autour d’une silhouette qu’il connaissait à peine. Gabriel écrivait des dialogues, des scènes, des moments qu’il imaginait avec Alina. Chaque mot qui sortait de sa plume semblait l’envelopper un peu plus dans l’illusion qu’il était en train de bâtir.
Il la voyait dans les cafés qu’ils auraient partagés ensemble, se repliant sur des discussions profondes à propos de la littérature, des souvenirs qui se tissaient entre eux comme des fils invisibles qui auraient rapproché leurs âmes. Ils parlaient de poésie, de musique, de ce qui les faisait vibrer. Il lui faisait découvrir des auteurs qu’il avait toujours aimés mais qu’il avait jugés trop obscurs, trop secrets, pour en parler à quiconque. Mais avec elle, il était sûr qu’elle aurait compris, qu’elle aurait été fascinée par ces auteurs oubliés. Elle aurait souri en lisant les mêmes mots qu’il avait lus autrefois, leur sens se reflétant dans leurs regards. Et il se voyait, le cœur battant, lui confiant ces pensées, ces doutes, comme une offrande précieuse.
Dans ses écrits, Alina devenait la complice parfaite de ses réflexions, la muse de ses idées les plus profondes. Il imaginait des soirées entières passées à la regarder, à l’écouter parler de ses rêves et de ses désirs, de sa vie secrète, de ce qu’elle avait traversé. Il la voyait sourire d’un sourire qui n’existait que dans ses écrits, sourire comme une femme qui aurait vécu mille vies et qui, par miracle, aurait décidé de s’arrêter sur la sienne. Il écrivait des passages où ils s’en allaient ensemble sous les étoiles, où ils s’installaient dans un parc désert pour parler de la beauté du monde. Tout cela semblait si réel, si tangible, comme si elle avait toujours fait partie de sa vie.
Et pourtant, à chaque fois qu’il se plongeait dans ses écrits, il sentait un malaise grandissant. Quelque chose qui clochait. Ses dialogues se teintaient de la même couleur, la même douceur, comme s’il essayait de projeter des émotions sur elle qu’il n’avait jamais partagées. Ses mots devenaient une conversation à sens unique, un monologue dans lequel il était le seul acteur. Il écrivait des phrases qu’il n’aurait jamais osé lui dire dans la réalité, des mots d’une intimité qu’il n’avait pas eu l’occasion de partager. Et pourtant, ces mots étaient vides de sens, creux. Ils étaient nés de sa seule imagination, et non d’une véritable rencontre.
Un soir, alors qu’il relisait un de ces passages, un froid glacial le traversa. Il se rendit soudain compte que ces conversations n’avaient jamais eu lieu, que ces moments qu’il croyait si réels n’étaient rien de plus qu’une projection de ses désirs. Il s’était enfermé dans un cercle vicieux où, au lieu de comprendre qui elle était, il s’était perdu dans une version idéalisée d’elle. Il avait créé un personnage à partir de ses désirs, une Alina qui n’existait que dans ses pensées, dans ses fantasmes.
Le malaise s’intensifia. Gabriel posa son stylo et se leva brusquement. L’air semblait devenu plus lourd, comme si chaque mot qu’il avait écrit l’avait éloigné un peu plus de la vérité. Il se rendit compte qu’il ne connaissait rien d’elle. Rien de ce qu’elle pensait vraiment. Il n’avait partagé avec elle que des instants fugaces, et pourtant il lui avait attribué une profondeur qu’il n’était même pas sûr qu’elle possédait. Dans sa quête, il avait projeté ses propres désirs sur elle, espérant qu’elle devienne une sorte de miroir parfait de ses propres attentes. Mais ce miroir n’était qu’un reflet déformé de ses propres idéaux.
Il pensa à toutes ces fois où il l’avait imaginée à ses côtés, comme un personnage idéal, une femme avec laquelle il aurait une complicité parfaite, une femme qui correspondrait à ses rêves de perfection. Il réalisa alors que, dans son esprit, il avait fait d’Alina un fantasme. Il ne l’avait pas connue pour ce qu’elle était, mais pour ce qu’il avait voulu qu’elle soit. Il avait pris son propre désir pour de l’amour, et sa quête pour une vérité absolue n’était qu’une illusion.
Les mots qu’il avait écrits, ces passages où ils se parlaient, devenaient insipides, dénués de la vérité qu’il espérait. Ils n’étaient que des désirs projetés, des attentes irréelles, et non des conversations sincères entre deux personnes qui se connaissaient véritablement. Gabriel se rendit compte qu’il avait manqué l’essentiel : comprendre Alina, l’accepter telle qu’elle était, dans son imperfection et son mystère. Mais cela semblait bien plus difficile que de la rêver, de la façonner dans ses pensées, de l’imaginer sous l’angle de ses fantasmes.
Il se laissa tomber sur le canapé, les carnets éparpillés autour de lui. Un long silence s’installa, lourd de vérité. Il avait pris conscience qu’il s’était perdu dans ses propres projections. Il n’avait jamais cherché à la connaître vraiment, à comprendre qui elle était derrière son regard, derrière son parfum. Il l’avait vue à travers le prisme de ses désirs, et non à travers celui de la réalité. Et cette réalité, cette vérité qui lui échappait, était bien plus complexe et incertaine que l’image idéalisée qu’il avait construite.
Il regarda les pages qu’il avait écrites, les mots, les dialogues. Tout cela lui paraissait maintenant futile. Tout cela ne servait qu’à combler un vide qu’il n’avait jamais voulu affronter : celui de ne pas savoir qui elle était vraiment. Mais cette prise de conscience était douloureuse. Elle ouvrait une brèche dans son obsession, une brèche qu’il ne savait pas comment combler. Tout ce qu’il pouvait faire, pour l’instant, c’était poser son stylo et faire face à cette vérité qui le dévorait : Alina n'était ni une idée, ni un fantasme. Elle était une personne, une personne qu’il ne connaissait pas encore. Et il n’avait aucune idée de ce qui pourrait réellement naître s’il décidait de la rencontrer, de la connaître pour ce qu’elle était, sans projeter sur elle son propre désir.
Chapitre 5 :
Le hasard, ou peut-être une force plus grande, décida que leur chemin se croiserait à nouveau. Gabriel n’aurait jamais cru que ce moment viendrait, qu’une autre rencontre se tisserait dans la toile invisible qu’il avait créée autour de cette femme. Il se trouvait, comme à son habitude, dans le café où il cherchait à noyer son malaise créatif. Mais ce jour-là, le destin semblait lui jouer un tour. À travers la brume de son esprit envahi par ses pensées, il la distingua. Alina.
Elle entra dans le café comme une silhouette hors du temps, aussi éthérée et fascinante que lors de leur première rencontre. Mais cette fois, elle ne s’arrêta pas simplement à un regard furtif, à un sourire éphémère. Non, cette fois, elle s’approcha, son regard capturant le sien comme une liane qui se glisse lentement autour d’un arbre. Il se figea, incapable de détourner les yeux.
Alina s’assit à une table voisine. La distance entre eux semblait tout à la fois immense et terriblement proche. Gabriel sentait son cœur s’emballer, un frisson courant le long de son échine. Il avait tant pensé à elle depuis leur première rencontre, s’étant perdu dans des rêveries qu’il croyait plus fortes que la réalité. Et voilà que cette réalité s’invitait à nouveau dans son existence, dans la forme la plus directe qui soit.
Les minutes passaient, et l’air entre eux devenait de plus en plus épais, chargé de non-dits et de tension. Puis, finalement, elle se leva. Elle s’approcha de lui d’un pas mesuré, presque insolent dans sa tranquillité. Ses yeux, ces yeux qu’il n’avait cessé de chercher dans ses rêves, plongèrent dans les siens. Alina s’arrêta à sa table.
"Vous m’observez souvent, monsieur", dit-elle, d’une voix douce, mais claire, comme si chaque mot était choisi avec une intention précise, comme si elle savait exactement l’effet qu’elle produisait. Ce n’était pas une question, mais une affirmation.
Gabriel se sentit pris au piège dans une sorte de jeu, un jeu dont il ignorait les règles. Il n’avait jamais imaginé qu’elle viendrait à lui, qu’elle briserait cette distance invisible qui les séparait. Et pourtant, elle le faisait, avec une aisance qui semblait naturelle. Ses paroles, comme une caresse invisible, effleuraient son esprit, réveillant en lui une résonance qu’il n’avait pas anticipée. Il se retrouva soudain à devoir répondre, à sortir de sa torpeur.
"Je... je m’excuse si j’ai été trop insistant", balbutia-t-il, son regard fuyant un instant, avant de le relever. "Je ne pouvais m’empêcher de... vous remarquer."
Un sourire fugace effleura les lèvres d’Alina. "Il y a des gens que l’on remarque, et d’autres qui ne laissent aucune trace", répondit-elle, son regard scrutant son visage comme si elle cherchait à y déchiffrer quelque chose. "Vous, vous laissez une trace."
Ces mots tombèrent comme des pierres dans le silence qui les enveloppait. Gabriel se sentit à la fois vulnérable et émerveillé. Elle semblait jouer avec lui, comme une flamme qui vacille sans jamais se laisser saisir. Il voulait répondre quelque chose de sensé, mais il était submergé par cette sensation étrange de se retrouver dans une scène qu’il avait écrite mille fois, sans savoir si ce qu’il vivait était encore de la réalité ou déjà un rêve.
"Pourquoi êtes-vous ici ?", osa-t-il finalement. Il n’était pas certain de ce qu’il attendait comme réponse. Il voulait savoir si elle l’avait observé autant qu’il l’avait observée. Ou si, en réalité, elle se moquait de lui, prenant plaisir à jouer ce rôle qu’il lui avait assigné dans ses pensées.
Elle haussait légèrement les sourcils, un mouvement qui trahissait à la fois de la curiosité et une forme de distance. "Pour le même motif que vous", répondit-elle, presque énigmatique. "Écrire. Chercher l’inspiration, la vérité… ou ce qui s’en rapproche."
Gabriel sentit un frisson parcourir son corps. Écrire. Elle aussi était à la recherche de quelque chose. Était-ce de lui ? De ce qu’il représentait pour elle ? Ou était-elle simplement en quête de l’illusion parfaite qu’ils se construisaient tous deux dans l’espace intime de ce café ?
Elle se laissa tomber dans la chaise en face de lui sans qu’il n’ait eu le temps de l’inviter. Ses yeux ne quittaient pas les siens, une légère lueur de défi dans le fond de ses iris. Elle savait. Elle savait qu’il était perdu dans ses pensées, qu’il se construisait des histoires, des dialogues, des rêves autour d’elle. Mais elle n’était pas là pour répondre à ses attentes. Elle était là pour jouer son propre jeu, et Gabriel en faisait partie.
"Alors, vous écrivez à propos de qui ?", demanda-t-elle d’une voix presque taquine. Elle savait qu’il ne pouvait pas s’empêcher de l’écrire. Elle savait qu’il s’en nourrissait, qu’il projetait son désir sur elle, qu’il la transformait en image idéale. Elle le savait et semblait s’amuser de cette prise de pouvoir qu’elle exerçait sur lui, comme une déesse implacable et insaisissable.
Gabriel sentit un vertige. Il avait l’impression d’être à la fois l’auteur et le personnage de son propre récit. Mais dans cette rencontre, il était aussi le spectateur. Le jeu avait pris une tournure dangereuse, une danse subtile entre désir et réalité. Il se rendait compte que, face à Alina, il n’était plus le seul maître de l’histoire. Elle devenait l’écho de ses fantasmes, mais aussi la source de sa confusion. Chaque mot qu’il écrivait sur elle, chaque pensée qu’il nourrissait à son sujet, semblait désormais se heurter à cette réalité cruelle : il ne la connaissait pas. Et cette ignorance devenait un terrain glissant, un piège dans lequel il s’enfonçait à chaque instant.
La conversation se poursuivit, mais à chaque mot qu’il échangeait avec elle, Gabriel sentait l’écart se creuser entre ses attentes et ce qui se passait réellement. Alina semblait consciente du pouvoir qu’elle avait sur lui, et ce pouvoir était à la fois séduisant et terrifiant. Il n’était plus certain si c’était lui qui cherchait à la capturer dans ses mots, ou si, au contraire, c’était elle qui le piégeait dans son propre jeu, l’attirant toujours plus loin dans un labyrinthe de désirs et de doutes.
Un jeu dangereux, effectivement. Mais dans ce jeu, Gabriel ne savait plus qui tenait les cartes.
Les jours qui suivirent cette rencontre laissèrent Gabriel dans un tourbillon de confusion. Chaque instant passé à repenser à Alina, à leurs échanges, semblait l’éloigner un peu plus de la réalité, et le rapprocher davantage de l’illusion qu’il s’était construit. Il était tourmenté par une question incessante : cette connexion qu’il avait perçue entre eux, était-elle réelle ou simplement une projection de ses propres désirs et fantasmes ?
Il se retrouvait à analyser chaque mot qu’elle avait dit, chaque regard qu’elle lui avait jeté, cherchant des significations cachées, des signes qu’il n’était pas simplement un spectateur passif dans ce jeu étrange qu’elle jouait. Mais plus il y pensait, plus les réponses se faisaient floues, insaisissables. Chaque élément de cette rencontre semblait s’effacer au fur et à mesure qu’il tentait de le saisir, comme de l’eau qui s’échappe entre les doigts.
Il repensa à la façon dont elle l’avait observé, presque avec un sourire satisfait, comme si elle savait qu’il était captivé. Mais était-ce réellement un sourire de complicité, ou était-ce un sourire d’amusement face à un homme qui s’égarait dans ses propres fantasmes ? Gabriel se sentit pris au piège dans cette incertitude. Chaque seconde passée à réfléchir à cette rencontre ne faisait qu’ajouter une nouvelle couche de doute à son esprit.
Ses pensées s’embrouillaient. Il se demandait : et si elle ne l’avait jamais vu comme il se voyait lui-même dans ses rêves ? Et si cette Alina, qu’il avait idéalisée dans son esprit, n’était en réalité qu’un reflet de ses propres désirs, une image façonnée par sa solitude et ses angoisses ? Peut-être qu’elle ne représentait pas un amour secret ou un idéal inatteignable, mais simplement un fantasme, une construction fragile qu’il chérissait comme une échappatoire à sa réalité de plus en plus morne.
Pourtant, un autre aspect de cette rencontre persistait dans son esprit. Son regard. Il avait vu, pour un instant, une lueur dans ses yeux qui ne ressemblait en rien à l’indifférence ou au simple amusement. C’était quelque chose de plus profond, comme si elle savait exactement ce qu’il ressentait, comme si elle comprenait la lutte intérieure qui le dévorait. Mais cette lueur, Gabriel se rendait compte, pouvait tout aussi bien être une illusion, une fausse piste, une réponse à ses propres attentes. Il n’avait vu qu’une fraction de ce qu’elle était. Et même si une part de lui avait envie de croire en cette connexion, une autre partie savait qu’il ne faisait que se perdre dans ses interprétations.
Il se souvint du moment où elle avait dit, avec cette voix tranquille mais tranchante : "Il y a des gens que l’on remarque, et d’autres qui ne laissent aucune trace." Cette phrase, qui semblait si légère, le hantait. L’avait-elle dit pour le séduire, pour le pousser dans une quête de lui-même, ou était-ce une vérité plus cruelle, un simple constat ? Peut-être qu’il était l’un de ceux qui ne laissaient aucune trace dans le monde d’Alina, un visage parmi tant d’autres, un homme parmi des milliers.
Il sentit une vague de frustration l’envahir. Comment pourrait-il encore croire en cette connexion qu’il s’était fabriquée ? Cette relation, aussi fugace et fragile qu’un rêve éphémère, semblait se dérober entre ses mains. Et s’il était le seul à voir ce lien ? S’il s’agissait d’une illusion pure et simple, une échappatoire à sa solitude, un jeu d’esprit où il se laissait prendre sans jamais en avoir la maîtrise ? Alina, dans son insaisissable beauté, semblait tout à la fois une promesse et une tromperie.
Il repensa à ses écrits, à la façon dont il l’avait transcrite, l’idéalisation qu’il en avait faite. Il avait voulu qu’elle soit sa muse, mais au fond, il n’avait jamais cherché à la comprendre, à la connaître vraiment. Il l’avait dessinée à son image, dans ses propres désirs, et lui avait attribué un rôle qu’elle n’avait jamais joué. Peut-être qu’elle n’était qu’une échappatoire à ses propres démons, un moyen de remplir le vide qu’il portait en lui. Il avait projeté ses attentes sur elle, espérant qu’elle incarne quelque chose d'inaccessible et de pur. Mais à mesure que le temps passait, il commençait à voir à quel point cette quête risquait de le détruire.
Gabriel commença à se demander si l’amour, tel qu’il le concevait, était une chimère. Peut-être que l’amour véritable ne résidait pas dans cette quête d’un idéal, mais dans l’acceptation de l’autre dans sa complexité, dans ses défauts et ses imperfections. Peut-être qu’il se perdait dans un labyrinthe de projections et de rêves, attendant d’Alina qu’elle incarne quelque chose qu’elle ne pourrait jamais être. Elle n’était pas sa muse, ni la réponse à ses tourments intérieurs. Elle était simplement une femme qu’il avait rencontrée un jour, une femme avec ses propres pensées, ses propres désirs, et qui ne lui appartenait pas.
Mais ce réalisme, cette vérité dure, était-elle acceptable pour lui ? Pouvait-il se détacher de l’image qu’il s’était construite d’elle et l’accepter telle qu’elle était, sans projection, sans idéalisation ? Gabriel se rendait compte qu’il se trouvait à un carrefour, tiraillé entre la douleur de la vérité et l’attraction de la fiction, entre ce qu’il espérait d’Alina et ce qu’elle était réellement.
Dans la solitude de son appartement, Gabriel se leva brusquement, son regard se posant sur les pages de son carnet, où il avait si souvent écrit à son sujet. Chaque mot semblait maintenant trop lourd, trop mensonger. Il les froissa et les laissa tomber dans la corbeille. Peut-être que, pour avancer, il devait cesser de la chercher dans ses fantasmes et enfin, la voir pour ce qu’elle était réellement.
Les jours passaient, et malgré sa volonté de rationaliser ses sentiments, Gabriel ne pouvait se détacher de l’image d’Alina. Il tentait de se convaincre qu’il s’agissait là d’une simple obsession passagère, une folie passagère née d’un manque d’inspiration, mais il se savait piégé. Chaque pensée le ramenait inexorablement à elle, à son regard, à la douceur énigmatique de sa voix. Et pourtant, Alina semblait insaisissable, aussi présente que l’air qu’il respirait et aussi lointaine que l’horizon.
Ils se retrouvaient occasionnellement dans le café, toujours dans ce même espace suspendu entre eux, un terrain neutre où les mots semblaient se dérober à chaque fois qu’il cherchait à les capturer. Elle était là, comme un spectre vivant, un mirage qui s’éloignait dès qu’il pensait avoir touché la réalité. Chaque échange, aussi superficiel soit-il, nourrissait un peu plus sa folie douce. Mais chaque sourire qu’elle lui adressait semblait trop furtif, chaque regard trop fuyant. Elle n’était jamais tout à fait présente, jamais tout à fait là.
Gabriel observait, se consumant de désirs muets, ses mains tremblantes lorsqu’il essayait de saisir une once de conversation véritable. Il avait cru, peut-être naïvement, qu’il pourrait la comprendre, qu’il pourrait percer les mystères d’Alina comme il déchiffrait les pages de ses propres écrits. Mais à chaque fois, il se retrouvait face à une frontière invisible, une ligne qu’il n’arrivait pas à franchir. Alina, par ses silences, ses demi-réponses, ses gestes mesurés, semblait lui signifier que ce lien qu’il tissait n’était qu’un mirage.
Un jour, alors qu’il s’était assis à sa table habituelle, il la vit entrer, comme un vent léger, son regard balayant l’espace avant de s’arrêter sur lui. Gabriel sentit un élan dans son cœur, une lueur d’espoir, mais il savait que cette lueur serait bientôt étouffée par la réalité. Elle s’approcha de lui sans un mot, simplement en s’installant en face de lui avec une grâce presque irréelle. Un silence lourd s’installa entre eux.
"Je vous ai manqué ?" demanda-t-elle enfin, mais d’une manière si détachée, presque amusée, que Gabriel ne sut que répondre. Était-ce une question sincère ou un jeu qu’elle lui jouait ?
"Je…" Gabriel s’arrêta, la gorge nouée. "Je pensais que vous ne reviendriez pas."
Elle esquissa un sourire discret, à peine perceptible, puis baissa les yeux sur sa tasse de café, son index traçant des cercles invisibles sur la surface chaude. Gabriel la regarda, pris entre la tentation de lui poser la question qui brûlait ses lèvres et la crainte d’affronter la vérité. Pourquoi ne se montrait-elle jamais pleinement ? Pourquoi ne se laissait-elle pas connaître ? Pourquoi chaque geste d'Alina semblait être une danse prudente, où elle se gardait à une distance qu’il n’arrivait pas à franchir ?
"Vous êtes difficile à comprendre," dit-il enfin, sa voix trahissant une frustration qu’il ne pouvait plus masquer.
Alina leva enfin les yeux, son regard une mer calme et profonde. "Peut-être que c’est vous qui vous compliquez les choses." Sa réponse était douce, mais chaque mot sonnait comme un petit avertissement. Elle se leva lentement, comme si chaque mouvement était mesuré, calculé. "Je ne suis pas ici pour être comprise, Gabriel," dit-elle, en se levant et en jetant un dernier regard vers lui. "Je suis ici pour être vécue."
Le ton de sa voix, le choix de ses mots, résonnèrent en lui comme un coup de tonnerre. Gabriel se sentit déstabilisé, perdu. Il avait cru, à tort, que cette rencontre était une rencontre de deux âmes perdues, que cette attraction devait mener quelque part. Mais il se rendait compte maintenant que pour Alina, il n’y avait aucune promesse, aucun engagement. Elle ne voulait pas d’un lien profond, d’une relation réelle. Elle était là pour être observée, désirée, mais jamais possédée.
Alina disparaissait à nouveau, comme elle était venue, sans un mot de plus. Gabriel resta là, figé, ses pensées en ébullition. Une fois de plus, il se retrouvait seul avec lui-même, face à l’évidence. Cette fascination, cette attirance qu’il ressentait à son égard, n’était peut-être que le produit de son imagination. L’amour, ou du moins, l’illusion de l’amour, n’était-il pas le terrain idéal pour les projections humaines ? Peut-être qu’Alina, cette image qu’il s’était construite à force de rêves et de désirs, n’existait pas réellement. Elle était devenue le reflet d’un désir inassouvi, une image de perfection qui n’avait rien à voir avec la réalité.
Il se sentit étrangement vidé, comme si la rencontre avec Alina n’avait été qu’un mirage qui se dissipait à chaque nouvelle tentative de l’appréhender. Et pourtant, au fond de lui, il savait que cette illusion continuerait de le hanter. Elle serait là, encore et encore, comme une ombre qui se faufile dans ses pensées, son esprit tourmenté oscillant entre la réalité et le rêve.
Gabriel comprenait enfin. Ce qu’il désirait, ce qu’il poursuivait, n’était pas Alina. C’était l’idée d’Alina, le fantasme qu’il avait créé dans son esprit torturé par la solitude et l’ennui. Ce désir intense, cette passion envoûtante, n’était qu’une quête sans fin pour combler un vide qu’il n’arrivait pas à admettre. Alina était l’illusion de l’amour, l’incarnation de l’idéal qu’il cherchait à atteindre. Et peut-être que ce qu’il ressentait n’était que le reflet de son propre manque, une projection, une chimère.
Il se leva enfin de sa table, les pensées enchevêtrées. En la recherchant, en la poursuivant, il avait cru qu’il pourrait combler un vide. Mais en réalité, il se rendait compte qu’il se perdait dans un désir sans fin, sans objet véritable. Et maintenant, plus que jamais, il comprenait la douloureuse vérité : Alina ne pouvait jamais être ce qu’il attendait d’elle, car elle n’était rien de plus que l’écho d’un désir impossible à atteindre.
Chapitre 6 :
Les pages de son carnet devenaient de plus en plus remplies de mots qu’il ne reconnaissait plus comme les siens. Gabriel avait sombré dans une sorte de transe littéraire, un flot continu d’écriture où chaque mot, chaque phrase, semblait se tordre autour d’Alina, de cette obsession qu’il ne pouvait plus contenir. Elle était partout : dans chaque personnage qu’il créait, dans chaque scène qu’il imaginait. Et peu à peu, les frontières entre la réalité et l’imaginaire se dissipaient.
Le processus était presque mécanique. Dès qu’il se posait devant son bureau, qu’il éteignait la lumière tamisée de son appartement, il se retrouvait plongé dans un monde parallèle, celui où Alina existait réellement. Il écrivait sans réfléchir, sans se soucier de ce qui était réel ou fiction. Ses romans se peuplaient de scènes éphémères : des promenades dans les rues désertes de Paris où il la suivait en silence, des discussions enfiévrées qu’il inventait, des gestes qu’il espérait mais qu’elle ne lui offrirait jamais.
Gabriel se perdait de plus en plus dans cette illusion qu’il tissait sans fin. Il avait l’impression de la connaître mieux que quiconque, pourtant chaque mot qu’il posait sur le papier le ramenait à la même impasse : un désir inassouvi. Chaque rencontre qu’il écrivait semblait plus réelle que la précédente, mais, étrangement, chaque nouvelle phrase ne faisait que l’éloigner un peu plus de la réalité. Il se rendait compte que plus il écrivait à son sujet, plus Alina devenait une créature abstraite, irréelle. Elle n’était plus qu’un symbole, une métaphore de ce qu’il ne pourrait jamais atteindre, un idéal déformé par son esprit.
Les mots devenaient une fuite. Une manière de prolonger l’illusion. Une manière de ne pas affronter le vide qui grandissait chaque jour dans sa vie. Il se souvenait de la manière dont il avait cru, au début, que l’écriture était son salut, qu’en noircissant des pages, il pourrait extérioriser son désir, comprendre ce qui le poussait à courir après une chimère. Mais à chaque mot écrit, il sentait qu’il s’enfonçait davantage dans une spirale sans fin.
Les scènes qu’il écrivait étaient saturées de sa vision d’Alina, transformée en une figure divine, inaccessible et parfaite, mais qui le rejetait à chaque tentative de la rapprocher de la réalité. Ses personnages se débattaient dans des dialogues impossibles, cherchant à saisir un semblant de vérité, mais ils n’arrivaient jamais à toucher le cœur de ce qu’Alina représentait pour lui : l’incarnation même du désir et de l’échec.
Au fil du temps, la ligne entre ses personnages et lui-même se brouillait. Gabriel commença à douter de son propre jugement, à ne plus savoir si c’était lui qui vivait dans un rêve ou si ce qu’il écrivait était plus proche de la vérité que la réalité elle-même. Ses journées s’enchaînaient dans une sorte de flou, entre la fenêtre de son appartement et les pages de son carnet. Les visages des autres se brouillaient, les moments passés avec Émilie, ses conversations avec des amis, tout cela devenait flou, secondaire. Tout ce qui comptait était Alina, cette image qu’il poursuivait dans son écriture, et qu’il chérissait comme un mirage.
Parfois, quand il relevait la tête de son carnet, il avait l’impression d’être complètement perdu, comme si ce monde qu’il s’était fabriqué était devenu plus réel que le monde qu’il vivait. Il se laissait entraîner dans cette folie douce, se perdant dans les descriptions, les dialogues, les gestes qu’il imaginait. Ses romans se nourrissaient de cette illusion, et chaque paragraphe écrit était une nouvelle étape dans son voyage vers la perte de soi. Chaque interaction, même fictive, lui apportait une satisfaction éphémère. Mais aussitôt qu’il reposait son stylo, la douleur de l’absence se faisait plus forte. Alina, dans le monde réel, restait hors de portée. Et dans ses écrits, elle n’était plus qu’un fantôme, une silhouette figée dans la perfection de son absence.
Il passait des heures, des jours même, plongé dans cette illusion. Le café qu’il fréquentait semblait ne plus avoir de sens. Il s’y rendait par habitude, cherchant à revivre les rares moments où il avait vu Alina, mais ces instants se dissipait comme du sable entre ses doigts. Chaque rencontre devenait une ombre du passé, une scène qu’il avait déjà vécue dans ses romans, mais qui perdait peu à peu son éclat. Il n’y avait plus de surprise, plus d’inattendu. Tout ce qu’il espérait, tout ce qu’il attendait, se trouvait déjà capturé dans les pages de ses livres. Ses interactions réelles n’étaient que des répétitions de ce qu’il avait déjà écrit, des reflets pâles de ses fantasmes littéraires.
Le paradoxe, c’est qu’en poursuivant Alina dans ses récits, Gabriel ne parvenait qu’à s’éloigner davantage d’elle. Chaque page, chaque ligne qu’il écrivait, construisait un mur de plus entre la réalité et ses illusions. Il avait peut-être créé la meilleure version de cette femme, une version parfaite, pleine de mystère et de séduction, mais cette version était irréelle. En essayant de la rendre vivante à travers ses mots, il l’avait définitivement éloignée de lui. L’écrivain, une fois de plus, avait pris le dessus sur l’homme, et il s’était laissé emporter dans le tourbillon de ses propres créations.
Ce constat l’étreignit dans un moment de lucidité douloureuse. Il ne pouvait plus distinguer ce qui était vrai de ce qui était fictif. Alina, l’idéale Alina, ne vivait plus que dans ses romans, dans les entrelacs de ses propres désirs. Mais cette Alina, il le savait au fond de lui, ne pourrait jamais exister dans le monde réel. Elle n’était qu’une fiction, une tentation, un mirage qu’il poursuivait à l’infini. Il avait perdu le contrôle. Et il se rendait à l’évidence que sa quête n’était pas celle de l’amour, mais celle d’une illusion qu’il ne pourrait jamais toucher.
Gabriel se leva de sa table, les yeux fixant les pages éparpillées autour de lui, des souvenirs figés dans l’encre. Et au fond, il comprenait que, dans cette spirale d’écriture et de désir, il s’était enfermé lui-même.
Le monde de Gabriel se fracturait lentement, comme une toile ancienne dont les fils se détachaient peu à peu. Il avait beau écrire, écrire encore, chercher dans chaque phrase un éclat de vérité, il se rendait bien compte que plus il construisait des mondes fictifs, plus le réel lui échappait. Ses écrits, peu à peu, devenaient un exutoire, un refuge, un terrain où il se perdait dans la beauté pure des personnages, des décors idéalisés, des dialogues enivrants. Mais dès qu’il quittait l’ombre de son bureau, il retrouvait la dureté du monde extérieur, et plus particulièrement la froideur de sa relation avec Émilie.
Le contraste était saisissant. Dans ses romans, il créait des amours passionnées, des élans irrésistibles, des rencontres où le désir flottait dans l’air comme une promesse de bonheur. Alina, sans qu’il en ait réellement conscience, avait pris place dans ses histoires comme l’incarnation de la femme parfaite : mystérieuse, envoûtante, insaisissable. Mais face à Émilie, la réalité était bien plus banale.
Émilie, qui avait été sa compagne fidèle, semblait aujourd'hui lointaine, prisonnière de ses propres préoccupations, prise dans l’engrenage de sa carrière, des responsabilités qui les éloignaient chaque jour un peu plus. Gabriel, pourtant, n’arrivait plus à se détacher de l’image d’Alina. À chaque geste qu’il remarquait chez Émilie, à chaque silence qui s'installait entre eux, il se surprenait à la comparer à cette image idéalisée qu’il nourrissait d’Alina. Il analysait ses réactions, ses regards, et chaque manque d’enthousiasme dans ses gestes semblait souligner un contraste évident : Émilie ne pouvait tout simplement pas rivaliser avec la figure qu’il s’était forgée d’Alina.
Les conversations entre lui et Émilie étaient devenues un dédale de non-dits et de malentendus. Parfois, ils se retrouvaient dans le même espace sans se regarder, un léger malaise flottant dans l’air. Émilie lui parlait de ses projets, de ses succès professionnels, mais les mots semblaient futiles à Gabriel. Il les entendait sans les écouter vraiment, son esprit constamment dérivé vers une autre réalité, vers ce monde où Alina existait, où il avait été si proche d’elle, où il avait été le centre de son attention, même pour un instant fugace.
Leurs disputes étaient devenues plus fréquentes. Émilie lui reprochait son manque d’implication, son regard absent, son esprit toujours ailleurs. Gabriel, de son côté, se sentait étranglé par cette relation qui, de plus en plus, lui semblait vide, incapable de répondre à ses besoins émotionnels les plus profonds. Mais ce qu’il ne pouvait lui avouer, c’était qu’il n’était plus capable de voir en Émilie la compagne qu’il avait choisie. Il la percevait à travers le prisme d’Alina, cette image irréelle qu’il s’était créée, et aucune de ses actions, aucun de ses gestes ne pouvait rivaliser avec cette vision fantasmée de l’amour.
Un soir, alors qu’ils dînaient ensemble dans le calme d’un restaurant où ils s’étaient autrefois entendus à merveille, Gabriel se surprit à la regarder sans la voir. Émilie parlait de ses projets de carrière, de la présentation qu’elle devait faire pour un nouveau client important. Mais Gabriel n’entendait plus rien. Il la voyait comme une silhouette floue, un personnage secondaire dans le théâtre de sa propre vie. Ses paroles, aussi intelligentes et pertinentes soient-elles, ne faisaient que le renvoyer à l’idée de cette conversation qu’il aurait dû avoir avec Alina, à cette discussion où elle l’écouterait, où il se sentirait vu, compris.
"Gabriel, tu m'écoutes ?" demanda Émilie, une pointe de frustration dans la voix.
Il sursauta, se redressant comme s’il venait de sortir d’un rêve. "Oui, bien sûr, je t’écoute." Mais même en disant ces mots, il savait que ce n’était pas vrai. Il l’avait entendue, mais il ne l’avait pas écoutée. Il n’avait pas perçu ses paroles avec l’intensité qu’il mettait dans ses échanges imaginés avec Alina. Ses yeux se posèrent sur elle, puis sur le verre de vin qu’elle tenait entre ses doigts, et il ressentit un malaise. Émilie n’était plus la femme qu’il désirait. Elle n’était plus ce que l’image d’Alina avait érodée dans son esprit.
Émilie, perceptive, nota le changement dans son regard, ce petit vide entre eux qu’il était impossible de masquer. Elle posa ses couverts, son regard se durcit.
"Gabriel," commença-t-elle, son ton plus grave, "Je ne sais pas ce qui t’arrive, mais je commence à avoir l’impression que tu n’es plus là, avec moi. Que tu n’es plus… avec nous. Je t’ai vu plonger dans ton travail, dans tes histoires, mais ça ne suffit plus. Tu ne me vois plus. Et je ne peux pas continuer à me battre contre cette ombre qui te hante."
Ces mots, simples mais lourds, frappèrent Gabriel en plein cœur. Il avait voulu les fuir, les ignorer, mais ils étaient là, tout autour de lui. Il se rendit compte qu’il était pris au piège d’un double monde, entre le fantasme qu’il avait fabriqué et la réalité qu’il fuyait. Et dans ce jeu, il avait perdu. Il n’y avait plus de place pour Émilie, plus de place pour ce qu’ils avaient partagé. Il n’y avait plus de place que pour Alina, et pourtant, cette Alina n’existait que dans les interstices de ses rêves.
Le regard d’Émilie se fit plus insistant, mais Gabriel n’eut pas la force de lui répondre. Il détourna le regard, une brume de confusion envahissant son esprit. La vérité était là, implacable : il avait sacrifié sa relation avec Émilie sur l’autel de ses illusions, et il ne savait plus comment revenir en arrière.
Les souvenirs de Gabriel se frayèrent un chemin à travers les brumes de ses pensées comme des éclats de lumière dans la nuit. Il ferma les yeux, se laissa envahir par ces moments fugaces où, jeune et insouciant, il s'était laissé engloutir par des passions dévorantes. Ces passions étaient comme des flammes, vives et brûlantes au début, mais qui finissaient toujours par s’éteindre aussi soudainement qu’elles s’étaient allumées, laissant derrière elles une cendre froide, une trace d’échec.
L'un de ces souvenirs lui revint en tête. C'était l’été de ses vingt-huit ans. Il venait tout juste de sortir d'une longue relation avec une femme nommée Clara, une femme qu'il avait aimée d'une manière presque démesurée. Il se souvenait encore de la première fois qu'il l'avait rencontrée : une soirée d'été, un concert de jazz en plein air, l’air léger, les lumières tamisées et, surtout, ce regard intense qu’elle lui avait lancé. Ce regard, il ne l’avait jamais oublié. C’était un regard d'une profondeur troublante, comme un océan dans lequel il aurait pu se noyer sans la moindre hésitation.
Ils s’étaient lancés dans une aventure passionnée, tout en effervescence, où chaque caresse semblait une promesse d’éternité. Mais, déjà à l'époque, il avait remarqué que cette passion était fragile, comme un souffle trop puissant qui risquait de s’éteindre sous la moindre brise. Leur amour avait pris feu avec la même rapidité qu’une étincelle dans un champ de foin sec, brûlant de tout son feu, mais sans aucune capacité à durer. Très vite, il s’était retrouvé noyé dans des non-dits, dans des silences, dans des attentes non partagées. Clara, tout comme lui, avait été emportée par cette flamme initiale, mais, petit à petit, elle s’était éteinte, engloutie par le poids des attentes et des désirs irréalisables.
Il se souvenait du jour où tout avait basculé, ce jour où, après une dispute particulièrement violente, Clara était partie, emportant avec elle les éclats de leur amour en lambeaux. Il avait voulu la retenir, la convaincre de revenir, de raviver cette flamme, mais elle n’était plus là. Tout ce qui restait, c’était un vide immense, un gouffre que rien ne pourrait jamais remplir. L’amour qu’il avait cru éternel s’était dissous, et il avait été laissé là, seul, à regarder la cendre.
Cet échec, pourtant, ne l’avait pas dissuadé de chercher à revivre cette flamme ailleurs. L’année suivante, il était tombé sous le charme de Camille, une collègue de travail, une femme exubérante, à la fois douce et sauvage. Il se souvint de son rire, de son énergie débordante, de la manière dont elle le captivait dès qu’elle entrait dans une pièce. Avec elle, il avait cru que cette fois, il avait trouvé la "bonne" passion, la passion qui durerait. Mais une fois de plus, il s’était laissé emporter par cette idée qu’il devait tout ressentir avec une intensité folle, sans se soucier des conséquences.
Très vite, l’histoire entre lui et Camille s’était noyée dans les mêmes eaux troubles que celle avec Clara. Leurs discussions étaient devenues des jeux de pouvoir, et au lieu de s’aimer, ils se déchiraient. Chaque baiser semblait plus urgent, plus désespéré, comme si la moindre seconde échappée à leur amour s’avérait être une trahison envers le bonheur qu’ils avaient imaginé. Et, comme à chaque fois, la flamme s’était éteinte, lente et inexorable, jusqu'à ce qu’il se retrouve, une nouvelle fois, seul.
Gabriel ferma les yeux, ressentant une étrange amertume dans la bouche, une sensation familière, un goût de déjà-vu. Il se rendait compte qu’il avait toujours cherché à revivre cette sensation d’exaltation, cette étincelle initiale. Chaque relation qu’il avait eue n’avait été qu’une tentative de recréer cette magie qu’il pensait pouvoir atteindre, cette fusion de deux âmes enflammées. Mais il ne faisait que courir après des fantômes. Après la première passion, rien ne pouvait égaler la sensation d’être englouti dans l’extase de l’inconnu. Rien ne pouvait retrouver cette intensité, car il avait fait l’erreur de croire que l’amour devait toujours être une flamme brûlante, une ardeur folle et dévorante. Et dès que cette flamme s’éteignait, il ne savait plus comment vivre dans la cendre.
Aujourd’hui, il réalisait que cette même quête insatiable était à l’origine de son obsession pour Alina. Il avait vu en elle la possibilité de revivre cette passion pure, cette connexion sans entraves qui brûlerait tout sur son passage. Et pourtant, il se retrouvait à la même place, perdu dans une illusion, à courir après un rêve. Alina, tout comme Clara et Camille, n’était qu’une nouvelle incarnation de cette tentation fugace, d’un désir inatteignable qui le poussait à fuir la réalité pour se perdre dans un idéal.
Dans le silence de son appartement, Gabriel se sentit envahi par la lourdeur de ces pensées. Il avait toujours cru que l'amour devait être une conquête, une victoire contre la banalité de l'existence. Mais aujourd'hui, il comprenait que la véritable tentation résidait dans cette quête même : l’illusion d’une passion infinie, qui ne pouvait exister que dans les recoins de son esprit. Il s’était laissé emporter, encore une fois, par la flamme du désir. Mais cette fois, il savait, au fond de lui, que cette flamme, tout comme les précédentes, finirait par se consumer.
Chapitre 7 :
Les rues de Paris, noyées sous une pluie fine, semblaient s’étirer à l’infini devant Gabriel, comme un tapis de secrets qu’il n’avait jamais su déchiffrer. Il marchait sans but, ses pensées tourbillonnant autour de l’idée d’Alina, cette silhouette insaisissable qui hantait son esprit depuis leur première rencontre. Depuis des semaines, il n’avait cessé de la chercher, se convaincant qu’il pourrait peut-être enfin saisir quelque chose de vrai, quelque chose d'authentique. Mais au fond de lui, il savait déjà que cette rencontre ne ferait que confirmer ce qu’il craignait : qu’Alina n’était rien de plus qu’une illusion, un mirage auquel il s’était accrochée trop longtemps.
Il arriva au café, un petit établissement au coin d'une rue tranquille, où il s’était souvent réfugié ces derniers mois. L’endroit avait conservé son atmosphère chaleureuse, avec ses murs en bois et ses rideaux en velours. L’odeur du café fraîchement moulu flottait dans l’air, un parfum réconfortant qui l’apaisait toujours, mais ce jour-là, il n’y avait aucune chaleur à trouver ici. Seulement une attente qui battait dans sa poitrine comme un tambour sourd.
Il la vit dès qu’il entra, assise à une table près de la fenêtre, un livre ouvert devant elle, son regard plongé dans les pages comme si rien autour d’elle ne comptait. Alina. Sa présence, toujours aussi magnétique, déstabilisa Gabriel. Elle avait l’air tellement détachée, comme si sa vie se déroulait dans un univers parallèle au sien, un endroit où lui n’avait aucune place. Elle leva les yeux, leur regard se croisa, et, cette fois, il n’y eut pas de sourire, pas d’étreinte silencieuse d’âme à âme, seulement une reconnaissance froide, presque distante.
Il hésita un instant, puis, prenant une profonde inspiration, il s’approcha de sa table. Il n’était plus sûr de ce qu’il attendait de cette rencontre, ni même de ce qu’il espérait y trouver. Peut-être un peu de clarté. Peut-être une réponse à ses questions qui le rongeaient depuis trop longtemps.
"Alina," dit-il doucement, en posant sa main sur le bord de la table. Il se surprit à déglutir, l’air un peu perdu. "Je... je ne pensais pas vous revoir."
Elle leva les yeux de son livre, ses lèvres esquissant à peine un mouvement. "Gabriel," répondit-elle, sa voix claire et calme, presque glacée. "Vous êtes bien persistant."
Il s’assit en face d’elle, son cœur battant fort, chaque battement résonnant comme un écho de ses propres attentes irréalistes. "Je... Je voulais vous parler," dit-il, presque à contrecoeur, comme si ces mots le libéraient d’un fardeau invisible. "Je ne peux m’empêcher de penser à vous, depuis notre première rencontre. Vous êtes..."
"Je suis quoi ?" coupa-t-elle, ses yeux fixant les siens avec une intensité troublante. Il y avait une lueur dans son regard, mais elle n’était pas douce. C’était une sorte de défi, une invitation à dévoiler des vérités qu’il n’était pas sûr de vouloir affronter.
Gabriel se sentit déstabilisé, comme si le sol sous lui s’était ouvert d’un coup. Il chercha les mots, mais ils semblaient se dérober. "Vous êtes... différente. Vous êtes un rêve, une énigme. Je ne comprends pas pourquoi vous me hantez autant."
Alina ferma doucement son livre, posant ses mains sur la table. Ses gestes étaient lents, mesurés, comme si elle était parfaitement consciente du pouvoir qu’elle exerçait sur lui, mais aussi de l'impact qu'elle avait sur ses émotions. Elle le regarda droit dans les yeux, sans se départir de son calme.
"Vous voyez ce que vous voulez voir, Gabriel. C’est ça, le problème. Vous vous êtes créé une image de moi. Vous m'avez fantasmée, idéalisée. Et moi, je suis juste... une femme qui vit sa vie." Sa voix n’était ni froide ni chaleureuse, juste une vérité crue qui le frappait avec la force d’un coup de poing.
Un silence lourd s’installa entre eux. Gabriel sentit son cœur s’emballer dans sa poitrine. C’était comme si tout ce qu’il avait construit autour d’Alina, toutes les projections qu’il avait mises sur elle, se détruisaient sous l’impact de ses mots. Il voulait parler, répondre, mais il n’avait plus de voix. Il n’était plus sûr de ce qu’il ressentait.
"Je ne suis pas celle que vous cherchez," continua Alina, son ton neutre, sans jugement. "Vous vous accrochez à une idée, à un désir, mais ce n’est pas moi. Je ne peux pas être ce que vous attendez. Et je ne vous le promets pas. Je ne suis qu’un mirage dans le désert de votre esprit."
Ces paroles, aussi simples qu'elles étaient, frappèrent Gabriel comme un éclair. Il se sentait vide, dévasté, comme si tout ce qu’il avait cru savoir sur l’amour, sur le désir, était en train de se défaire lentement, pièce par pièce. Alina n’était pas un idéal qu’il pouvait atteindre. Elle n’était pas là pour nourrir ses rêves, pour combler ses attentes. Elle était un être humain, avec ses propres aspirations, ses propres limites. Et lui, il l’avait enfermée dans un rôle qu’elle ne pourrait jamais jouer.
"Et si je vous laisse partir ?" murmura-t-il, la voix rauque, comme si la simple idée de la laisser partir était une souffrance qu’il ne pouvait supporter.
Elle se leva lentement, sans se précipiter, et, avant de partir, elle se tourna vers lui une dernière fois. "Alors vous vous retrouverez seul, avec vous-même, Gabriel. Peut-être qu’un jour, vous comprendrez que l’amour n’est pas une quête d’idéal. Ce n’est pas une chose à poursuivre à tout prix. Parfois, il faut accepter qu’il ne reste que l’humain, avec ses failles et ses contradictions."
Et elle partit, sans un mot de plus, laissant Gabriel dans une solitude plus profonde que jamais. Il la regarda s’éloigner, sentant son monde s’effondrer autour de lui. La réalité, comme une vague déferlante, l’avait frappé de plein fouet. Il avait cherché à fuir l’imperfection de la vie, mais aujourd’hui, il n’avait plus d’autre choix que de la regarder en face, d’accepter cette vérité.
Dans le silence de ce café, Gabriel réalisa que cette rencontre, cette confrontation avec Alina, était la dernière. Et qu’il ne pourrait plus jamais se cacher derrière ses fantasmes. Il se retrouvait seul avec ses propres démons, face à un miroir brisé qu’il ne pourrait réparer.
Gabriel était figé. Le silence qui suivit les paroles d'Alina semblait s'étirer comme un abîme qu'il ne parvenait pas à franchir. Les mots résonnaient dans son esprit, mais ils semblaient étrangers, comme s’ils venaient d’un autre monde. Il n’avait pas envisagé cette possibilité. Dans ses fantasmes, il avait toujours cru qu’elle finirait par céder, qu’elle répondrait un jour à cet appel muet qu’il lui avait lancé à travers ses regards et ses écrits. Mais la réalité, cette réalité qu’Alina venait de lui exposer avec une froideur désarmante, était bien plus cruelle.
"Je comprends que vous soyez flatté," dit-elle d’une voix calme, presque douce, "mais ce n’est pas suffisant pour que je vous voie autrement. Vous vous êtes construit une image de moi, une image qui n’a rien à voir avec ce que je suis réellement."
Gabriel tenta d’ouvrir la bouche, mais aucun mot ne sortit. Il n’arrivait plus à respirer correctement, comme si l’air s’était retiré de la pièce. Il avait le goût amer de l’humiliation sur les lèvres. Comment en était-il arrivé là ? Pourquoi n’avait-il pas vu que tout ceci n'était qu'une illusion qu'il s’était fabriquée ? Il s’était mis à chercher en Alina une réponse à des questions qu’il n’avait même pas osé se poser avant.
Alina, quant à elle, semblait parfaitement à l’aise dans sa vérité, ses yeux fixés sur lui sans animosité, mais avec une distance glaciale. Elle soupira, comme si elle devait apporter une dernière précision, une dernière vérité. "Vous êtes un homme intéressant, Gabriel, mais je ne vous vois pas comme un partenaire. Je ne vous ai jamais vu de cette manière. Et vous, vous vous êtes perdu dans un fantasme qui n'a rien de réel."
Les paroles d'Alina étaient comme des flèches, frappant droit au cœur de Gabriel, et pourtant il savait que c'était la vérité. La réalité le frappait dans toute sa crudité, et tout ce qu’il avait projeté sur elle, tout ce qu’il avait espéré, se dégonflait comme un ballon crevé.
"Je ne veux pas jouer ce jeu," ajouta-t-elle, se levant finalement de sa chaise. "Je ne vous manipule pas, Gabriel. Je ne vous séduis pas, je ne vous fais pas espérer quoi que ce soit. Je suis flattée par votre attention, mais ça s’arrête là. Vous avez besoin de quelqu’un qui corresponde à l’idée que vous avez de l’amour, pas à moi."
Les mots étaient durs, mais Alina ne semblait pas vouloir être cruelle, simplement honnête. Gabriel, lui, ne savait pas comment réagir. Il se sentait vidé, comme un coquillage sur la plage après la tempête, brisé par le poids de la vérité. "Et si... Si je vous avais vue comme vous êtes vraiment, sans ces illusions ?" demanda-t-il, presque en murmurant, une question qui, au fond de lui, n’attendait peut-être pas de réponse.
"Peut-être qu’alors vous m’auriez vue comme ce que je suis : une femme, Gabriel. Juste une femme parmi tant d’autres, avec ses propres vies, ses propres désirs, et ses propres limites. Et non pas une muse pour combler votre besoin de rédemption ou d’inspiration."
Ses mots s’étaient infiltrés dans son esprit, se faufilant dans ses pensées comme des serpents silencieux. La déception qu'il ressentait ne venait pas seulement de la froideur de son rejet. Non, c’était bien plus complexe. Il ressentait aussi une forme de honte, la honte d’avoir projeté sur elle un idéal qu’elle ne correspondait jamais à être. Elle n’était qu’un miroir, un reflet distordu de ses propres besoins et de ses failles.
"Je vous souhaite de trouver ce que vous cherchez, Gabriel," dit-elle en se dirigeant vers la porte, son geste fluide et déterminé. "Mais je ne suis pas celle que vous cherchez. Peut-être que vous devrez commencer par vous chercher vous-même."
Gabriel la regarda partir, impuissant. Il n’avait pas de réponse, aucun mot à opposer à sa vérité. Elle s’éloigna sans se retourner, laissant derrière elle une question suspendue dans l’air.
Se levant lentement, Gabriel se dirigea vers la fenêtre. Dehors, la pluie battait toujours, créant des rides sur l’eau des rues désertes. Il se sentait plus seul que jamais, mais paradoxalement, un sentiment de libération émergeait doucement en lui. La vérité d'Alina, aussi douloureuse fût-elle, avait dissipé l’obscurité de ses illusions. Peut-être que, pour la première fois, il avait vu les choses telles qu'elles étaient, sans filtres ni projections. Et cette révélation, bien que brutale, ouvrait la voie à un chemin différent, un chemin où il pourrait enfin se regarder lui-même et se reconstruire.
La porte se referma doucement derrière Alina, et Gabriel resta là, immobile, à contempler la pluie.
Gabriel resta figé, un instant qui parut une éternité. Les mots d'Alina s'étaient inscrits dans son esprit comme une vérité dure, inébranlable. Ils étaient là, gravés au fer rouge, une empreinte indélébile. Il se rendait compte que ce qu’il avait pris pour un désir brûlant, un appel irrésistible, n’était en réalité qu’un cri désespéré d’évasion. Il n’avait pas voulu Alina pour elle-même, il l’avait voulue comme un moyen de fuir sa propre réalité. Elle représentait tout ce qu’il avait perdu dans sa vie : la passion, l’intensité, la simplicité du plaisir. Elle avait incarné l’échappatoire parfaite à une existence qu’il jugeait morne et sans couleur.
Gabriel se leva lentement, ses jambes presque tremblantes sous le poids de la révélation. Le café, les chaises, les tables autour de lui s’étaient soudainement vidés de toute leur signification. Il se sentait comme un spectateur de sa propre vie, un spectateur qui regardait un film de sa propre souffrance. Il se tourna vers la fenêtre. La pluie tombait avec une insistance presque symbolique, martelant le verre avec une violence sourde, mais rassurante. Un orage en lui-même.
Il ferma les yeux, et dans le silence assourdissant qui régnait, une vérité éclatante se dévoila à lui. *Il n’avait jamais recherché Alina pour ce qu’elle était.* Il l’avait projetée comme une échappatoire à l’indifférence qu’il ressentait au quotidien. Son mariage avec Émilie s’était essoufflé depuis longtemps. Il n’avait pas pris le temps de nourrir leur relation, d’entretenir la flamme de l’amour qui, comme une bougie négligée, avait fini par se consumer lentement, dans un silence de plus en plus pesant. Ses écrits, jadis source d'inspiration, étaient devenus des enchaînements de mots sans vie, une routine morne, une recherche sans fin pour retrouver quelque chose qu'il avait perdu, sans même savoir ce que c'était.
Alina n'était qu’un miroir déformé de ses propres besoins insatisfaits. Elle avait incarné ce que Gabriel pensait être la clé de sa rédemption : la passion pure, l'intensité de la première rencontre, le frisson du désir. Mais ce désir n’était pas réel. Il était un fantasme, une fuite, une illusion qu’il avait créé pour se protéger de l’ennui, de la monotonie, du vide dans lequel il s’était retrouvé coincé. Il ne la désirait pas tant qu'il ne la désirait lui-même, la possibilité d'un renouveau, une possibilité d'échapper à sa propre apathie.
Ce moment de confrontation avec Alina avait été un réveil brutal. Il comprenait maintenant qu’il avait cherché en elle non pas une relation sincère, mais une échappatoire à sa propre souffrance, à sa propre impuissance face à la lente érosion de sa vie. L’intensité qu’il ressentait envers elle n’était pas le fruit d’une véritable attirance, mais d’un désir de retrouver l’étincelle de la vie qu’il avait perdue dans l’écrasante normalité de son existence.
Dans cette solitude qui s’était installée après son départ, Gabriel se retrouva face à lui-même, sans illusion, sans artifice. C'était à lui qu’il devait se confronter maintenant. Et ce n’était pas une confrontation douce. C’était celle d’un homme qui, pendant trop longtemps, avait cherché à fuir plutôt qu’à vivre pleinement.
Il se souvint des premières étincelles de son amour pour Émilie, des moments où leur relation avait été vibrante, pleine de promesses et de passions. Où étaient passées ces premières émotions ? Il les avait laissées s’éteindre dans le silence, dans l’attente d’un miracle, dans la recherche d’un idéal impossible. Peut-être qu’il n’avait jamais vraiment aimé, peut-être qu’il s’était simplement perdu dans l’idée d’aimer, dans la vision fantasmée de ce que l’amour pouvait être. Il se rendit compte que c’était cela qu’il devait réparer, pas une relation avec Alina qui n’avait jamais existé, mais la relation qu’il avait négligée avec Émilie, la femme qui, malgré tout, avait partagé sa vie pendant des années.
Il baissa la tête, ses mains se posant sur la table, les doigts tremblants, non de peur, mais d’une fatigue ancienne qui se révélait enfin. Il n’avait plus de réponses, seulement des questions. Et la question qui lui brûlait les lèvres maintenant était la suivante : *comment se réinventer après avoir perdu tout ce que l’on pensait savoir de soi-même ?*
Il tourna la tête, ses yeux se posant sur les petites tables du café, où des inconnus discutaient, riant, vivant. Il les observa avec une étrange distance. Peut-être que, comme eux, il allait devoir réapprendre à vivre. À voir la beauté dans les petites choses. À accepter la vie telle qu’elle était, sans chercher à fuir. Peut-être que le chemin du retour vers soi-même ne passait pas par la quête de mirages, mais par l’acceptation des failles et des imperfections de son propre cœur.
Avec un dernier regard vers la porte, il se leva, se dirigeant lentement vers l’extérieur. Il n’avait plus d’illusion à chercher, plus de fantasmes à nourrir. Ce qu’il cherchait, il l’avait toujours eu sous les yeux. Il n’avait plus qu’à y faire face.
Chapitre 8 :
Gabriel s'éloigna du café avec des pas lourds, presque mécaniques, comme si chaque mouvement lui coûtait une énergie qu’il n’avait plus. La pluie, plus fine désormais, persistait, lavant les rues de Paris de toute poussière. Mais pour Gabriel, la sensation d'humidité n'était que le reflet extérieur de l'état de son âme. Il se sentait saturé, noyé dans une mer de pensées contradictoires et d’émotions confuses.
Il erra sans but dans les rues, comme un fantôme, perdu dans les ruelles familières qu’il avait pourtant toujours aimées. La ville, habituellement vivante et vibrante, lui apparaissait désormais comme une toile grise, fade, comme un décor dénué de sens. Ses pensées tourbillonnaient autour de la même question : *Pourquoi cette obsession pour Alina ? Pourquoi n’avoir jamais vu ce qui était là, juste devant lui ?*
Il n’avait jamais pris le temps de se poser la véritable question : ce n’était pas Alina qu’il voulait, mais la fuite. La fuite d’une vie devenue prévisible, terne, et silencieuse. Il se rendait compte, avec une brutalité presque insoutenable, qu’il s’était perdu dans des chimères pour ne pas avoir à faire face à la réalité de ses propres failles. Alina n'était pas le centre de son désir ; elle n’était qu’un catalyseur, un miroir dans lequel il avait cru voir ses rêves de passion et d’excitation. Mais ce qu’il n’avait pas vu, ce qu’il n’avait pas voulu voir, c’était qu’il était en quête de quelque chose de plus profond, quelque chose de plus intime que l’apparence d’une relation.
Il s’arrêta soudain, sous le porche d’un immeuble, ses yeux fixés sur le sol pavé. La vérité s’abattait sur lui comme un torrent, brutalement, sans aucune douceur. Tout ce qu’il avait cru être de l’amour n’était que la projection de son propre désir de se retrouver, de se sauver d’une existence qu’il avait, sans s’en rendre compte, laissée dériver. Alina était devenue l’incarnation de cette échappatoire qu’il n’avait jamais réellement cherchée auprès de ceux qui l’entouraient.
La frustration, la honte et la colère se mêlaient dans son esprit comme un cocktail venimeux. Comment avait-il pu se laisser ainsi dévorer par ses propres illusions ? Pourquoi n’avait-il pas vu plus tôt ce qu’il y avait à l’intérieur de lui-même, plutôt que d’imaginer qu'une rencontre fugace puisse combler le vide qu’il portait depuis si longtemps ?
Il ferma les yeux et prit une profonde inspiration, cherchant à faire taire ce tumulte intérieur. Il fallait qu’il se confronte à la vérité, qu’il accepte ce qui était, même si cela signifiait renoncer à l’idéal qu’il s’était construit autour d'Alina. Les images de leur rencontre, de ses rêves partagés avec elle, se mêlaient à ses souvenirs de relations passées, toutes marquées par la même illusion : celle d'un amour pur et passionné, comme un mirage toujours fuyant.
Gabriel soupira et se laissa glisser le long du mur, s’asseyant sur le sol froid, la tête entre les mains. Ses doigts, tremblants, se faufilèrent dans ses cheveux, tandis qu’il se laissait submerger par une vague d’émotions. La catharsis était là, dans cet instant de solitude, dans ce face-à-face avec sa propre déraison. C’était douloureux, mais nécessaire. Il devait tout laisser sortir, tout ce qu’il avait retenu pendant si longtemps.
L’image d’Émilie se dessina soudainement dans son esprit. La douceur de ses traits, la chaleur de ses bras, les moments qu’ils avaient partagés avant que la routine n’envahisse leur quotidien. Était-ce cela, l’amour ? Simplement une vie vécue à deux, avec ses hauts et ses bas, ses moments de complicité et ses incompréhensions ? Gabriel comprit alors que ce n’était pas l’amour qui lui avait échappé, mais sa propre capacité à l'apprécier et à le nourrir. Il n’avait pas su voir ce qui était là, juste devant lui, parce qu’il était trop occupé à courir après des chimères.
Les larmes, qu’il avait réprimées pendant trop longtemps, commencèrent à couler. Il pleura, non pas pour Alina, mais pour lui-même. Pour ses erreurs, pour ses illusions, pour sa lente dérive dans le vide. Il pleura pour la relation qu’il avait négligée, pour tout ce qu’il n’avait pas su voir et aimer à sa juste valeur. Il pleura pour la part de lui-même qu’il avait laissée derrière, dans la quête de quelque chose de plus grand, de plus beau, de plus intense.
Puis, peu à peu, les larmes cessèrent. Le silence revint, apaisant, et avec lui un sentiment de légèreté. C’était une libération. Gabriel sentit un poids se lever de ses épaules, une libération douce et amère à la fois. Il n’avait pas encore toutes les réponses, il ne savait pas encore comment réparer les morceaux brisés de sa vie. Mais il savait que c’était le début de quelque chose. Un processus de guérison. Un retour à lui-même.
Il se leva lentement, balayant les dernières traces de larmes sur son visage. La pluie avait cessé. Le ciel était d’un bleu pâle, presque translucide, comme si le monde, après l’orage, offrait une nouvelle perspective.
Gabriel regarda autour de lui, et pour la première fois depuis longtemps, il ressentit une forme de clarté. L’amour, la passion, la vie — tout cela ne se trouvait pas dans des rêves inaccessibles ni dans des illusions perdues. Il était là, devant lui, tout autour de lui, dans les moments simples, dans les relations sincères. Peut-être qu’il était prêt à les voir maintenant, à les accepter.
Il se dirigea vers la rue, son esprit plus calme, plus serein. Un nouveau chapitre s’écrivait devant lui, un chapitre qu’il n’avait pas encore exploré. Mais il savait, au fond de lui, qu’il était prêt à le commencer.
Gabriel rentra chez lui ce soir-là avec une clarté nouvelle. Les pensées qui l'avaient tourmenté pendant des semaines, des mois même, se calmirent peu à peu, comme un vent soufflant sur une mer déchaînée. Il était fatigué, mais dans cette fatigue se cachait un sentiment étrange de soulagement, comme si, à cet instant précis, il avait fait un pas en avant vers une version de lui-même qu'il avait longtemps négligée.
Quand il entra dans l’appartement, il trouva Émilie assise sur le canapé, une tasse de thé à la main, plongée dans un livre. Elle ne leva pas les yeux de son roman, un geste tranquille, presque automatique. Ce silence, qui jadis aurait été un réconfort, semblait maintenant une distance irréductible entre eux.
Elle avait toujours été là, une constante rassurante dans la vie de Gabriel, mais tout à coup, elle lui paraissait comme un lointain souvenir. Elle n’était plus celle avec qui il partageait des rêves, des projets. Elle était devenue une autre présence, plus froide, plus distante. Ils n’étaient plus les complices de jadis, ceux qui, autrefois, se confiaient leurs peurs et leurs espoirs. Leur relation avait traversé des tempêtes, mais ces dernières années, il avait eu l'impression que les vagues de la routine les avaient engloutis sans qu’ils ne s’en rendent compte.
Il la regarda un moment, un tourbillon d’émotions lui étreignant la poitrine. Il la voyait, mais il ne la ressentait plus de la même manière. Il était conscient que ce n’était pas de sa faute à elle, ni même de la sienne, mais d’un vide silencieux qu’ils avaient tous deux ignoré, jusqu’à ce qu’il devienne trop grand pour être évité.
Il s’assit à côté d’elle, sans parler pendant un instant. Le bruit léger de la pluie dehors apportait une sorte de sérénité étrange. Il savait ce qu’il devait faire, mais il craignait les mots. Les mots qui détruiraient ce dernier vestige de ce qu’ils avaient partagé.
"Émilie," commença-t-il doucement, sa voix un peu hésitante, "Je crois que… je crois qu'il est temps de parler."
Elle leva les yeux vers lui, une lueur de curiosité passant brièvement dans son regard, avant qu’elle ne repose lentement la tasse sur la table basse.
"Qu’est-ce qui se passe, Gabriel ?" Sa voix était calme, presque prémonitoire, comme si elle savait déjà, d’une manière ou d’une autre, ce qui allait suivre.
"Je ne sais pas comment le dire," répondit-il, en se frottant le front, "mais… je pense que je ne peux pas continuer comme ça."
Émilie le regarda, silencieuse. Un instant, Gabriel perçut la lueur d’une tristesse qu’il n’avait pas vue auparavant. Elle savait, elle aussi, que quelque chose avait changé. Quelque chose en eux s’était brisé. Mais elle n’en parlait pas, comme si tout ce qu’elle ressentait était trop complexe, trop douloureux pour être mis en mots.
"Je crois que nous avons perdu ce que nous étions, Émilie," continua Gabriel, la gorge serrée. "Je me suis perdu dans mes propres illusions et mes propres désirs. Et dans tout ça, je t’ai oubliée. J’ai oublié de t’aimer pour ce que tu es réellement. J’ai cherché des échappatoires ailleurs, et cela n’a fait que nous éloigner, toi et moi."
Il marqua une pause, son cœur battant plus fort dans sa poitrine, comme si chaque mot prononcé pesait une tonne. Il savait que cette décision allait briser quelque chose, qu’il allait la perdre d’une certaine manière, mais il savait aussi qu’il ne pouvait pas continuer à la mentir, à se mentir. Il devait être honnête avec elle, et surtout avec lui-même.
"Je t’aime encore, Émilie," ajouta-t-il, les mots pleins de sincérité, "mais je comprends que ce n’est plus suffisant. Je dois me retrouver, comprendre qui je suis avant de pouvoir aimer quelqu’un d’autre, et peut-être même avant de pouvoir t’aimer comme tu le mérites."
Les larmes montèrent dans les yeux d’Émilie, mais elle ne pleura pas tout de suite. Elle resta là, silencieuse, ses mains serrées autour de la tasse. Puis, enfin, elle posa sa main sur la sienne, son toucher doux, mais chargé de cette tristesse inévitable qui flottait entre eux.
"Je le sais, Gabriel," dit-elle doucement. "Je le savais avant que tu me le dises. Nous nous sommes perdus, tous les deux, dans ce silence. Je ne peux pas te retenir si tu ne veux pas revenir à toi-même."
Il baissa les yeux, un sentiment de douleur profonde l’envahissant, mais aussi une forme de soulagement. Il avait pris la décision, la seule qui était juste, mais cela ne signifiait pas qu’il n’en souffrait pas. C’était un acte d’amour, en fin de compte, même si cela ne ressemblait pas à un acte de réconciliation. Ils ne pouvaient plus être ensemble, non pas parce qu’ils ne s’aimaient plus, mais parce qu’ils n’étaient plus capables de s’aimer correctement.
Ils restèrent là quelques instants, dans ce silence lourd, mais apaisant. Finalement, Émilie se leva. "Je ne sais pas où cela nous mène, mais je te remercie de m’avoir dit la vérité," dit-elle, ses yeux remplis de larmes contenues, mais dignes. "J'espère que tu trouveras ce que tu cherches, Gabriel. Et que tu t’y retrouveras. Mais je ne peux pas être celle qui attend."
Elle tourna le dos, et dans ses gestes, il y avait une acceptation, un respect. Gabriel la regarda partir, et il se sentit seul. Mais, étrangement, pas perdu. Pas cette fois. Ce n’était pas un rejet, c’était une libération, pour eux deux. Un adieu difficile, mais nécessaire.
Et alors qu’il restait là, seul, dans l’appartement qui semblait soudainement si vaste, il se sentit enfin prêt à affronter ce qui viendrait ensuite. Il devait maintenant se retrouver, et ce chemin, bien que solitaire, lui appartenait. Et il était enfin prêt à l’emprunter.
Gabriel se leva, la tête encore pleine des échos de sa conversation avec Émilie. Il ressentait une lourdeur dans son cœur, mais aussi une libération étrange, une forme de catharsis qui naissait lentement, comme une aube timide qui perce la nuit noire. Il n'avait jamais imaginé que la fin d'une relation pouvait être aussi complexe, aussi ambivalente, mais c'était ainsi : une fin qui, paradoxalement, marquait un nouveau commencement.
Il s'assit à son bureau, devant sa machine à écrire. Le bois de son vieux bureau, usé par les années, semblait l'attendre, comme une vieille amie fidèle prête à accueillir ses pensées. Il attrapa une feuille vierge et la plaça sous les touches, mais cette fois, il ne se sentait pas pressé. Pas de pression, pas d'urgence. Juste un besoin de poser des mots, de sortir les tourments de son âme.
Il saisit la plume, et avant de commencer à écrire, il ferma les yeux un instant, prenant une profonde inspiration. Il pensa à Alina, à cette figure qui, durant ces derniers mois, avait occupé tant de place dans ses pensées. Mais ce n’était plus elle qu’il voulait capter, plus elle qu’il cherchait à séduire à travers ses mots. Non, cette fois, il écrivait pour lui-même. Pour son propre soulagement. Pour exorciser les démons qu’il avait nourris.
Il laissa ses pensées se libérer sur la page, sans réfléchir, sans jugement. Les mots s'enchaînaient avec une fluidité qu'il n'avait pas ressentie depuis longtemps, comme s'il n’écrivait plus dans l’espoir d’être lu, mais simplement dans l’espoir de se retrouver.
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"Le désir est une flamme qui brûle sans fin, et chaque étincelle que nous y mettons n'est qu'une illusion de plus qui nourrit sa puissance. Mais à quel moment avons-nous cessé de distinguer la chaleur de l'amour de la brûlure de l'obsession ? Je me suis perdu dans des fantômes, dans des mirages, oubliant que c’était en moi que je devais chercher la vérité. J’ai voulu qu'elle devienne ma muse, que son image me guide vers un horizon d’inspiration, mais en réalité, c'est moi-même que j’avais besoin de retrouver. Peut-être qu'Alina n'était qu'un miroir. Un miroir qui reflétait ce que j'avais laissé derrière moi : des rêves inachevés, des désirs enfouis, des illusions d’amour et de passion."
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Il s’arrêta, repoussant la plume quelques instants. Une étrange sérénité s’installait en lui. Il continuait d’écrire, sans se soucier de la forme, de la perfection, de la suite. Il ne cherchait plus à créer une œuvre. Il se laissait juste porter par le flux de ses émotions.
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"Il y a des moments où l’on désire tant quelque chose que l’on en oublie l’essentiel : ce que l’on est, ce que l’on a. J’ai voulu qu’elle soit tout ce que je ne savais plus être. Une échappatoire à la vie que je me refusais de voir. Et dans ce jeu dangereux, j’ai perdu plus que je n’ai trouvé. Je m’en rends compte maintenant, quand la lumière de la vérité éclaire enfin mon esprit. Ce n’est pas elle qui m’a fait perdre pied. C’est moi, et moi seul."
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Il s'interrompit, ses mains tremblantes légèrement. Il baissa les yeux sur le papier. Ce n'était pas un texte brillant, ni un chef-d'œuvre littéraire. Mais ce n'était pas cela qu'il cherchait. Il n’écrivait plus pour nourrir son ego ou pour séduire un public imaginaire. Il écrivait pour sortir de l'obscurité, pour poser les fondations de sa propre renaissance.
Il se leva, puis se dirigea vers la fenêtre. La lumière du matin pénétrait à travers les rideaux, douce et claire. Le monde semblait plus net, plus réel, comme si les ombres du passé se dissipaient lentement, laissant place à une nouvelle clarté.
En revenant à son bureau, il relut ce qu’il venait d’écrire. Il n’y avait plus de trace de la fascination dévorante pour Alina. Il n’y avait plus cette urgence, cette soif insatiable de la comprendre, de la posséder, d’en faire une figure qui incarnerait toute sa quête de sens. Il y avait simplement un homme qui se regardait en face, avec ses failles, ses erreurs, mais aussi avec la possibilité d'un recommencement. Un homme prêt à se réconcilier avec lui-même, prêt à accepter que l’amour ne réside pas dans des fantasmes idéalisés, mais dans la capacité à aimer d’abord ce que l’on est, sans illusion.
Le texte, simple et vrai, était une confession, mais aussi un acte de guérison. Gabriel posa la plume, enfin prêt à fermer ce chapitre de sa vie. La plume n’était plus un moyen d'évasion. Elle était devenue l'instrument de sa réconciliation, une façon de se réconcilier avec son propre cœur.
Et dans cette douce tranquillité, il comprit que la véritable liberté venait de l'acceptation de ses désirs, de ses failles, et de sa capacité à se libérer des chimères pour voir la beauté du monde tel qu’il était. Il n’avait plus besoin de chercher ailleurs. Il avait trouvé ce qu'il cherchait depuis tout ce temps : la paix intérieure.
Chapitre 9 :
Gabriel se leva tôt ce matin-là. Le ciel au dehors était d’un bleu pâle, presque lumineux, et l’air était frais, comme une promesse de renouveau. Il regarda la tasse de café fumante qu’il tenait dans les mains, mais ce n’était pas le goût de la caféine qu’il recherchait. C’était un sentiment plus subtil, un sentiment qu’il avait cherché pendant des mois sans vraiment savoir qu’il était déjà là, à portée de main. Aujourd’hui, il se sentait différent. Il se sentait prêt.
Il n’avait pas immédiatement trouvé cette paix intérieure après sa séparation avec Émilie, ni après la confrontation avec ses illusions. Non, cela avait pris du temps, comme tout processus de guérison. Mais aujourd’hui, il savait que le chemin parcouru n’était pas une fin. C’était un commencement.
Les jours qui avaient suivi son dernier acte d’écriture avaient été remplis de réflexion. Il avait passé des heures seul avec ses pensées, avec ses souvenirs, avec les fragments épars de son histoire. Et peu à peu, un tout se formait. Ce qu’il avait vécu, ce qu’il avait ressenti, toutes ces passions et ces désirs non partagés, tout cela pouvait désormais se transcrire en mots. Non pas dans l’espoir de capturer une image idéalisée de la réalité, mais de la comprendre, de l’accepter, de l’embrasser dans sa complexité.
Il s’assit à son bureau. Cette fois, il ne ressentait pas de pression, ni l’urgence d’une histoire à raconter pour se faire publier. Il ne poursuivait plus la quête de la gloire ou de la reconnaissance. Il n’écrivait pas pour séduire un public, mais pour se comprendre lui-même. Ses pensées s’alignaient désormais naturellement, sans le fardeau d’une perfection à atteindre.
Il prit son carnet, son stylo, et d’un geste fluide, commença à écrire.
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"Ce livre ne sera pas une histoire d'amour idéale, ni un roman où la passion triomphe sur toutes les autres réalités. Ce livre est un miroir. Un miroir dans lequel je vais me regarder, et peut-être que ceux qui me liront se reconnaîtront un peu dans ce que je vois. Il y a eu une rencontre, une attraction fulgurante, un désir brûlant. Et puis il y a eu la déception, la prise de conscience que ce désir, cette femme, n’étaient pas ce que je pensais. Mais au-delà de l’illusion, ce que j’ai découvert, c’est moi-même. Mon propre désir. Mes propres limites. Et ma capacité à aimer, non pas pour fuir, mais pour être vrai."
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Il marqua une pause, relut ces quelques lignes. Il n’y avait rien de grandiose dans ces mots, mais il y avait quelque chose de juste, de sincère. Une vérité fragile, mais réelle.
Les mois passaient, et petit à petit, le livre prenait forme. Chaque chapitre, chaque paragraphe, chaque mot était une exploration de son âme, une réécriture des désirs et des illusions qu’il avait cultivés. Gabriel parlait de sa rencontre avec Alina, bien sûr, mais ce n’était pas elle, en tant que personne, qui l’intéressait vraiment. C’était ce qu’elle représentait. Elle était devenue une métaphore de l’illusion et du désir non partagé. Et à travers elle, il découvrait la profondeur de ses propres blessures et la beauté qu’il avait négligée pendant trop longtemps.
Il s’attarda particulièrement sur les moments où il s’était perdu dans ses propres fantasmes, sur les scènes qu’il avait imaginées, et qui n’avaient jamais eu lieu. La beauté de l’écriture résidait, pour lui, dans cette capacité à transformer la douleur en quelque chose de plus grand que la réalité, mais aussi dans la lucidité qui venait après le tourbillon des émotions. Écrire, c’était accepter l’ambiguïté de l’existence humaine, accepter que chaque désir non partagé, chaque relation perdue, chaque moment d’illusion n’était en réalité qu’une invitation à se découvrir davantage.
Il se leva une nouvelle fois, ce matin-là, pour regarder à travers la fenêtre. Cette fois, ce n’était pas le même homme qui se tenait là. Celui qu’il était avant la rencontre avec Alina, avant son errance dans les ténèbres de ses désirs inassouvis, était un homme qui se cherchait sans fin. Mais aujourd’hui, Gabriel était un homme qui s’était retrouvé. Il n’avait plus besoin de chercher ailleurs. Il s’était trouvé dans les mots, dans la création, dans cette capacité à se remettre en question.
Un sourire discret se dessina sur ses lèvres. Il n’avait pas besoin de se prouver quoi que ce soit. Ce livre, qu’il allait bientôt terminer, ne serait pas une victoire sur un passé révolu, mais plutôt un hommage à cette quête infinie qui l’avait toujours animé : celle de comprendre l’amour, la tentation, le désir, et finalement, soi-même.
Il retourna à son bureau, et, alors que le soleil montait dans le ciel, il écrivit les dernières lignes du chapitre. Cette fois, il savait. La création n’était pas seulement un acte de produire quelque chose pour les autres, mais une manière de se réconcilier avec sa propre existence. Il avait fait la paix avec ses désirs, avec ses failles, et avec la réalité de l’amour. Il avait compris que la plus grande source d'inspiration était celle qui venait de l'intérieur. Celle qui lui permettait de créer sans se perdre.
Et ainsi, avec une nouvelle conviction, Gabriel continua d’écrire. Parce qu’écrire était désormais son chemin vers la liberté.
Gabriel s'assit à son bureau, les rayons du matin traversant les rideaux, effleurant le bois de son vieux bureau. Il avait le regard un peu plus serein qu’avant, bien qu'encore marqué par les remous émotionnels des derniers mois. La rencontre avec Alina, son obsession, sa quête sans fin de quelque chose d’indéfini — tout cela semblait maintenant appartenir à un autre temps. Ou du moins, à une autre version de lui-même. Ce qu’il avait vécu, cette tentation effervescente, cette passion fugace et dévorante, il l’avait d’abord vue comme une erreur, comme une illusion dévastatrice. Mais aujourd’hui, il savait que cela faisait partie d’un processus plus vaste. Un processus qu'il n’avait pas encore pleinement compris, mais qui était là, présent, dans chaque ligne qu'il écrivait.
Il prit une grande inspiration, un souffle long et profond, comme pour chasser les derniers vestiges de confusion qui subsistaient encore en lui. Il avait écrit pendant des mois pour fuir, pour s’échapper d’une réalité qu’il n’avait plus envie de vivre. Mais aujourd’hui, c’était différent. Aujourd’hui, il comprenait que cette tentative de fuir dans l’illusion d’un amour éthéré et d’un désir impossible n’était pas simplement un piège. Cela avait été le catalyseur de sa propre évolution, le point de départ d’un chemin qu’il n’aurait jamais emprunté autrement.
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*"La tentation, aussi fugace et insaisissable soit-elle, a changé quelque chose en moi. Elle m’a forcé à regarder en moi-même, à affronter ce que je fuyais depuis toujours : mon propre désir. Je ne pensais pas qu’une simple rencontre pourrait marquer une transformation aussi profonde, mais c’est ainsi. L'illusion d'un amour, d'un désir qui n'a jamais été concrétisé, m’a poussé à questionner tout ce que je croyais savoir sur moi-même et sur l'amour. Plutôt que de la voir comme une erreur, une déception, j’accepte désormais la tentation pour ce qu’elle est : une étape dans mon voyage intérieur."*
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Il leva les yeux vers le plafond, pensif, puis se tourna à nouveau vers sa page. La tentation d'Alina, cette femme qu’il n’avait jamais vraiment connue, cette figure presque mythologique qu’il avait fabriquée de toutes pièces dans son esprit, l'avait profondément bouleversé. Mais ce bouleversement n’était pas synonyme de destruction. Bien au contraire, il l’avait obligé à puiser au fond de lui-même, à comprendre les racines de ses désirs et ses propres illusions. Il n’avait pas perdu quelque chose dans cette quête, il avait gagné quelque chose.
Il comprit qu’il n’avait jamais cherché Alina en tant que personne, en tant que femme réelle. Ce qu’il recherchait en elle, c’était une part de lui-même qu’il avait ignorée. Un désir caché qu’il n’avait jamais exploré. Il pensait que la tentation était un piège, un mirage, mais c’était avant qu’il ne réalise qu’elle faisait partie d’un tout plus vaste. Une partie de son propre voyage créatif, de sa capacité à embrasser l'incertitude et l'instabilité.
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"Je vois maintenant que la tentation n'était pas là pour me faire souffrir. Elle était là pour me pousser à la création, pour me secouer, me déranger, pour m’obliger à sortir de ma zone de confort. À travers ce désir non partagé, j’ai pu enfin comprendre que la création ne naît pas dans la stabilité, mais dans le chaos, dans l'incertitude, dans le tumulte intérieur que l’on ignore parfois jusqu’à ce qu’il éclate."
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Gabriel relut ces mots avec un sourire discret. Il n’écrivait plus comme un homme perdu, cherchant des réponses. Il écrivait comme un homme qui avait trouvé, ou du moins qui avait fait la paix avec ses propres contradictions. Il n’avait plus peur de ses désirs, de ses passions fugaces. Il les acceptait comme des pièces du puzzle de sa propre existence. La tentation n’était pas un obstacle. Elle était un révélateur, un miroir de son propre cœur, et en cela, elle était essentielle.
Ses doigts dansaient sur le clavier, presque automatiquement, comme si chaque mot qui apparaissait à l'écran était un acte de réconciliation avec son passé. Il écrivait, oui, mais pas seulement pour le monde. Il écrivait pour lui-même, pour comprendre mieux sa propre trajectoire. Sa relation avec Émilie, sa quête de l’inaccessible, sa rencontre avec Alina — tout cela faisait partie de ce grand livre qu’il écrivait maintenant. Un livre qui était, au fond, celui de sa réconciliation avec son propre désir.
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"Et maintenant, je sais que je ne chercherai plus l'amour dans des idéaux inaccessibles. Je ne chercherai plus des mirages, des figures impossibles à atteindre. Je ne chercherai plus à fuir dans l’illusion. Mais je sais aussi que, sans ces tentations, sans ces rêves insensés, je n'aurais pas pu arriver là où je suis. La créativité naît de la tension entre l'espoir et la déception, entre l'illusion et la réalité. Et peut-être que ce livre, ce voyage, est la manière pour moi de célébrer tout cela."
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Gabriel posa sa plume. Il se leva et se dirigea vers la fenêtre, le regard perdu dans l’horizon, au-delà de la ville. Le temps était passé, et avec lui, un cycle entier de sa vie. Mais ce cycle avait donné naissance à quelque chose de nouveau. Une compréhension plus profonde de l’amour, du désir, et de la création. Il n’était plus l’écrivain perdu dans ses obsessions. Il était un homme qui avait appris à se connaître à travers ses désirs et ses failles, et cela suffisait pour lui donner la force de recommencer. De créer.
Il sourit. Le voyage continuait. Et cette fois, il était prêt.
Gabriel se leva, le dos encore courbé par la lourdeur des nuits sans sommeil, mais quelque chose avait changé. Il n’était plus ce même homme égaré par les illusions de l’amour et du désir. Un voile s’était levé, une clarté nouvelle imprégnait ses pensées. Il avait accepté le chaos, la confusion, et même la douleur qui l’avaient conduit jusqu’ici. Il avait compris que la tentation, cette étincelle fugace qui avait bouleversé sa vie, n’était pas une défaite, mais un catalyseur. Un appel à la compréhension plus profonde de lui-même, de ses désirs et de ses limites.
Le soleil, à travers la fenêtre, éclairait le vieux carnet sur lequel il écrivait depuis des heures. Gabriel s’arrêta un instant, observant les mots qu’il venait d'écrire, cette étrange danse entre la réalité et le rêve qui lui avait longtemps échappé. Il n’était plus le même homme qui avait cherché à capturer l’amour dans des chimères. Il avait appris que, tout comme l'écriture, l'amour était une expérience complexe et multiple, un chemin qui ne se dessinait jamais de façon linéaire.
Dans les pages qu’il avait écrites, il y avait des regrets, des désirs non partagés, mais aussi une sagesse nouvelle, née des fragments d’illusions qu’il avait dû déconstruire. La tentation d’Alina, même si elle n’avait jamais été pleinement réalisée, avait ouvert une porte en lui. Elle lui avait permis de voir la différence entre un désir véritable et une simple projection, entre un amour réel et une vision idéalisée.
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"La tentation n'était qu'une illusion. Mais elle m’a offert quelque chose de bien plus précieux que l’objet de mon désir. Elle m’a montré que les vérités que je cherchais ne se trouvent pas dans des femmes inaccessibles, dans des rêves inachevés. Elles résident dans la manière dont je choisis de vivre mes propres désirs, de les accepter sans me perdre dans l’illusion d’une perfection imaginaire."
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Il relut ces lignes, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres. Gabriel savait désormais que la quête du désir ne se faisait pas en fuyant la réalité, ni en cherchant à fuir la douleur des désirs non réalisés. Il comprenait que la beauté résidait dans la complexité du désir humain, dans la danse entre la réalité et l’imaginaire, et dans cette fine ligne qui séparait le rêve de la vérité. C’était là que la création se nourrissait : dans cette ambiguïté fertile, cette tension entre ce qui était et ce qui aurait pu être.
Gabriel s'arrêta un instant, regardant au loin, par la fenêtre de son appartement. Il y avait un monde qui l'attendait, un monde de nouvelles rencontres, de nouvelles possibilités. La tentation d’Alina, et ce qu’il en avait tiré, n’était plus un poids. Ce n’était plus une illusion d’amour. C’était un chapitre. Une page d’un livre plus grand, d’une vie en perpétuelle évolution.
Il se tourna vers le carnet, la plume glissant une dernière fois sur le papier. Un acte d’écriture, mais aussi un acte de libération. Ce qu’il avait vécu avec Alina ne serait plus un fardeau. Il l’avait accepté pour ce qu’elle avait été, une étape dans un processus qu’il était désormais prêt à vivre pleinement. Ses désirs ne seraient plus des rêves inaccessibles, mais des facettes multiples de son expérience humaine. Il était prêt à s’ouvrir à ce qui viendrait ensuite, sans crainte de se perdre dans des illusions.
Il savait maintenant que l’amour, tout comme la création, n’était pas un idéal parfait à atteindre. C'était un terrain mouvant, à la fois fascinant et incertain, où il fallait apprendre à marcher, à tomber, à se relever. Et dans cette incertitude, il y avait une beauté nouvelle.
Il posa sa plume. Le livre qu’il venait de finir, le livre qu’il était sur le point de publier, était une invitation à vivre cette vérité. À vivre dans la complexité, sans chercher à fuir la réalité, mais en l’embrassant pleinement, avec ses contradictions et ses imperfections. Ce n’était pas la fin de son voyage, mais un nouveau commencement.
Gabriel prit une profonde inspiration, se leva, et se dirigea vers la porte. Il savait que, désormais, il était prêt à explorer de nouvelles possibilités. Avec une conscience plus claire de ses désirs et de ses propres illusions, il s'apprêtait à accueillir l’amour sous une forme nouvelle, sans plus se perdre dans ses rêves, mais en restant fidèle à la réalité de son propre cœur. Et, dans ce voyage, il n’avait plus peur de la fine ligne qui séparait rêve et réalité. Il savait maintenant qu’au-delà de cette ligne se trouvait la véritable richesse de l’expérience humaine.
Il sourit, la porte s'ouvrant devant lui. Le monde était là, ouvert, prêt à être découvert.
Écrit et illustré par : M. KABA
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